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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/659

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On se rappela sans doute avec complaisance que, deux ans et demi auparavant, lors du fameux accident de La Rochelle, les jours du dauphin avaient été miraculeusement préservés, grâce à l’intercession de ce même saint Michel. À une époque où la croyance au surnaturel était enracinée dans tous les esprits, deux marques aussi insignes de la protection de l’archange, se succédant à si peu d’intervalle, étaient de nature à frapper fortement l’imagination des partisans de Charles VII. Dans la châtellenie de Vaucouleurs en général, à Domremy en particulier, ces deux événemens étaient appelés à produire un effet d’autant plus grand que le patriotisme des habitans de cette région et de ce village était alors soumis à de plus rudes épreuves.

Si, comme nous croyons l’avoir rendu au moins très vraisemblable, l’affaire de juin 1425 a déposé dans l’âme de la jeune inspirée la première semence de sa mission, il serait surprenant que notre héroïne n’eût jamais manifesté l’intention de venir au secours du Mont-Saint-Michel. Cette intention, nous allons prouver que Jeanne l’a eue, en effet, et qu’il n’a fallu rien de moins que le mauvais vouloir, l’opposition systématique des conseillers de Charles II, pour l’empêcher de la réaliser. Il est à remarquer d’abord que, dans le cours de ses expéditions militaires, elle témoigna toujours une sympathie spéciale aux capitaines qui s’étaient signalés par leur zèle à concourir à la défense du Mont. De ce nombre étaient Ambroise de Loré, maréchal de Jean II, duc d’Alençon, et Jean de La Haye, baron de Coulonces. De 1418 à 1429, ces deux intrépides partisans n’avaient pas cessé de guerroyer contre les envahisseurs dans l’Avranchin et sur les frontières du Maine. Aussi les trouve-t-on au premier rang dans les plus glorieuses campagnes de la Pucelle, sur la Loire, à la chevauchée de Reims et à l’assaut de Paris. Le bâtard d’Orléans fut aussi honoré de toute la confiance de Jeanne ; or le bâtard, après la mort de Louis de Harcourt et à la suite du désastre de Verneuil, avait été pendant quelque temps à la tête de la garnison du Mont-Saint-Michel. Quant à Arthur de Richemont, dont les efforts tendaient depuis 1426 à dégager la forteresse bas-normande, la libératrice d’Orléans l’accueillit avec empressement lorsqu’il vint offrir son concours, quoiqu’il fût alors en pleine disgrâce, et au risque d’encourir le courroux de La Trémouille, ennemi personnel du connétable.

Mais l’homme de guerre que la Pucelle admit dans son intimité par-dessus tous les autres, ce fut le duc d’Alençon. Le « beau duc » ou le « gentil duc, » comme Jeanne aimait à l’appeler familièrement, fut redevable de cette préférence d’abord à son titre de gendre du duc d’Orléans, prisonnier des Anglais, ensuite à l’appui