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soit dans le fond de l’Asie. Du reste, avec son coup d’œil exercé, le savant français n’a pas manqué de reconnaître des fougères ; elles lui semblent même voisines de celles que Plumier venait de rapporter des Antilles ; en outre, il a observé des formes rappelant les palmiers ou d’autres arbres exotiques. D’ailleurs ce sont bien des empreintes, et les échantillons sont toujours couchés à plat comme dans un herbier et jamais repliés en désordre. Telles sont les observations de Jussieu, dont on ne saurait trop admirer la pénétration. Mais il ne se contente pas d’observer ; il veut encore remonter aux causes, et, sur ce terrain mouvant, près d’un siècle avant que la géologie rationnelle ait été fondée, livré à son seul instinct, comment va faire ce savant si ingénieux pour imaginer un système plausible ? — Ces plantes inconnues à l’Europe, elles n’ont pu venir que des pays chauds ; l’idée d’un passé du globe antérieur à l’homme n’existe pas : comment concevoir ce transport ? La mer seule a pu l’opérer. Bernard Palissy a eu raison ; la mer et les courans, en recouvrant nos continens, y ont déposé les plantes et les coquillages que l’on observe à l’état de pétrifications, quelquefois avec une extrême abondance. Les courans auront entraîné de loin ces plantes flottantes pour les déposer ensuite sur des fonds argileux et les recouvrir de limon. Sans recourir à des bouleversemens ni même au déluge universel, il est évident pour Jussieu que la plupart des terres habitées ont été originairement occupées par la mer. Il pensait être hardi en avançant que ces restes de plantes étaient renfermés entre deux feuillets « depuis peut-être plus de trois mille ans. » La notion du temps, en géologie, était encore nulle, et un siècle entier devait s’écouler avant qu’elle pût s’établir. Maintenant encore, en dehors des géologues de profession, combien de savans l’ignorent ou gardent à son endroit une incurable défiance !

Cinquante ans après Jussieu, les idées sur la nature du charbon de pierre n’avaient rien gagné en étendue ni en précision. Valmont de Bomare, en 1769[1], croit cependant à l’origine végétale de la houille, dont il ne distingue pas d’ailleurs le lignite, et pour expliquer la formation du charbon minéral, il admet d’une façon générale l’enfouissement de forêts d’arbres résineux par suite des révolutions arrivées à notre globe.

Buffon, dans ses Époques de la nature, en 1778, il est juste de

  1. Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle, par M. Valmont de Bomare. Paris, 1769, t. t, p. 26. — L’article de l’Encyclopédie de Diderot (in-f, t. III de la 3e édition. Livourne, 1771. Article Charbon minéral), dû à la plume du baron d’Holbach, reproduit textuellement le passage de Valmont de Bomare ; mais l’Encyclopédie étant de beaucoup antérieure au Dictionnaire de Bomare, c’est à elle sans doute que ce dernier auteur aura emprunté son article.