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eaux transportait des points momentanément envahis jusqu’aux endroits relativement déprimés. Ces eaux, qu’il faut bien supposer exemptes de limon, se déchargeaient enfin de tous les résidus végétaux, tenus par elles en suspension, au fond de la dépression centrale destinée à les recevoir en dernier lieu.

C’est bien ainsi, ou à peu près ainsi, qu’ont dû se passer les choses, et, dans l’état actuel des observations, on ne saurait pousser plus loin l’application directe des idées de M. Grand’Eury à l’étude d’une question locale. Il suffit de constater que la théorie de ce savant ne se trouve en désaccord ni avec les phénomènes anciens, ni avec ceux des périodes plus récentes, enfin qu’elle a peut-être sa place marquée au milieu des grandes scènes de la nature contemporaine. Effectivement, quand on lit les récits des voyageurs qui remontent les grands fleuves de l’intérieur de l’Afrique, le Nil, par exemple, on voit leurs barques longtemps arrêtées par les herbes, les résidus submergés, les accumulations de végétaux que l’eau pure des grandes crues entraîne, en arrivant des plateaux supérieurs et inondant l’espace à perte de vue. Devant ce tableau qui nous montre des cypéracées, des nénuphars, d’immenses colonies de plantes flottantes, sous lesquelles le fleuve disparaît, avec ses remous, ses lagunes temporairement envahies, ses bassins profonds, après avoir été presque à sec durant de longs mois, il est impossible de ne pas reporter son esprit vers les phénomènes, non pas sans doute tout à fait pareils, mais assurément du même ordre, auxquels les anciennes époques et en particulier notre Europe ont dû autrefois la formation des houilles, des stipites, plus tard des lignites. Ce ne sont pas là, en tout état de cause, des phénomènes accidentels ni purement épisodiques, nés de circonstances une fois réalisées pour ne plus jamais reparaître. Il s’agit plutôt d’un enchaînement véritable, d’une suite de combinaisons analogues, que le temps a ramenées à plusieurs reprises, et qui n’ont rien même d’incompatible avec ce qui se passe de nos jours à la surface du globe. En parlant ainsi, ce n’est pas l’Europe que nous avons en vue, mais l’intérieur des terres tropicales, et les parties de ces terres où l’eau, la chaleur et l’exubérance de la végétation sont encore réunies sur un sol dont la configuration se prêterait aux conditions matérielles définies dans cette esquisse.


G. DE SAPORTA.