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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/78

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sans monture visible, lesquels paraissaient, dans le mélange de leurs feux, se chevaucher les uns les autres, comme les écailles imbriquées de quelque fantastique et éblouissant reptile. Les yeux clignaient légèrement, agacés par la fumée, et se montraient humides entre leur double frange de cils noirs. Un regard qui avait accompagné sa phrase à l’adresse de Trémont semblait bien une invitation à venir s’asseoir auprès d’elle sur le divan. Roger s’empressa de déférer à cet appel des yeux, et, un peu rouge (il avait, d’ailleurs, confortablement dîné), un peu ému, tout à fait séduit, il s’embarqua dans une phrase aimable, quoique un peu gauche, où il était question de dressage à deux, de promenades au Bois par les charmantes matinées d’avril, de chevaux sages et d’amoureux qui aspiraient à ne pas l’être. La conclusion de cet entretien galant fut que le jeune homme irait voir le surlendemain la jument. — On sortit.

C’était une soirée douce, une des premières de l’année, un de ces temps par lesquels les gens paisibles et couche-tôt se font, pour une fois, noctambules. On renvoya les deux coupés, — deux voitures de bon style, qui n’avaient rien de commun avec ces affreuses petites boîtes roulantes à cocottes, vraies voitures-enseignes, par l’acquisition desquelles les petites dames de bas étage ont coutume de marquer leur première étape dans la voie du luxe. Ces dames voulaient marcher, puis aller faire un tour en fiacre découvert, — pour changer. Roger offrit son bras à Jane, qui s’y appuya tout de suite d’une façon flatteuse, et les deux couples, descendant les boulevards, se mirent à causer séparément. L’entretien du vicomte avec Clémence ne devait rien avoir de palpitant : trois ans d’intimité, — vieux habits ! vieux galons ! Mais celui de Roger avec Jane paraissait glisser bon train sur une pente agréable, car le jeune homme inclinait souvent la tête vers sa compagne, ayant l’air de lui poser des questions à solution pressée. À la Madeleine, on prit un fiacre, et, après avoir déposé rue Galilée Clémence et Rohannet, les tourtereaux qui s’étaient appareillés si promptement continuèrent leur route vers l’avenue du Cois-de-Boulogne, qu’habitait Jane. Le coin de la rue n’était pas tourné que le bras de Roger faisait le tour de la taille de Jane, et qu’une demi-douzaine de baisers cherchaient à se caser quelque part, aux environs des lèvres de la jeune femme… Les premières atteintes du printemps, le charme d’une belle nuit, les agaceries d’un parfum savant, les suites poétiques d’un bon dîner, que sait-on ?.. Bref, Madeleine était aussi parfaitement oubliée que s’il se fût agi d’une antiquité de maîtresse à mettre au rancart. — Au milieu de l’avenue, le fiacre s’arrêta devant un joli hôtel à façade blanche, séparé du trottoir par un étroit jardin. Le jeune homme se