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avait conçus pour donner à sa nouvelle aristocratie plus d’importance et d’éclat. On verra mieux par les pages qui suivent combien il était difficile d’établir de l’ordre et de la régularité dans la transmission et l’héritage des titres que la charte de Louis XVIII maintenait ou faisait revivre.


II.

En France, au moyen âge, à l’époque de la féodalité, les charges militaires ou, comme nous dirions aujourd’hui, les commandemens dans les provinces, les villes et les châteaux-forts devinrent héréditaires et constituèrent le patrimoine des familles nobles. Ceux qui les avaient exercés dans le principe joignaient à l’autorité militaire l’administration de la justice. C’étaient d’ordinaire des favoris, des familiers du monarque, auxquels celui-ci déléguait la plus grande partie de son pouvoir. Leurs fonctions se transformèrent peu à peu en de véritables souverainetés placées soit directement sous la suzeraineté du roi, soit sous la suzeraineté d’autres officiers dont les charges étaient également devenues héréditaires et qui relevaient sans intermédiaire de la couronne. Il y eut bientôt un plus grand nombre d’échelons entre celle-ci et les offices militaires qui formèrent de la sorte une hiérarchie de sujétion. En même temps, à la suite des usurpations des possesseurs de bénéfices accordés par le roi, la propriété foncière se confondait avec la souveraineté. Tout propriétaire de terre devenait un seigneur qui régnait sur les serfs et les vilains attachés à son domaine, et prenait rang dans la hiérarchie féodale, dont le réseau s’étendit graduellement sur tout le royaume. Il fut vassal d’un seigneur d’un ordre plus élevé et put avoir ses propres vassaux. Les fiefs s’échelonnèrent donc à la façon des charges militaires dont l’exercice s’attachait au reste à la propriété du sol, car celui qui détenait un fief y avait une habitation, un manoir ; commandant à ses vassaux et à ses sujets, il y rendait la justice et il y recevait les rentes et redevances qui lui étaient dues en retour de la protection par lui accordée. Les propriétaires dont les terres n’avaient point eu à l’origine le caractère féodal et étaient, comme l’on disait, de francs-alleux, enveloppés, enlacés de tous côtés par cette multitude de seigneurs, durent se recommander de quelques-uns d’entre eux pour s’assurer une protection qui leur devenait indispensable. Ils firent hommage de leurs biens-fonds à un voisin puissant et s’en avouèrent les vassaux, entrant de la sorte dans la hiérarchie féodale en dehors de laquelle ils avaient été d’abord placés.

De tous les devoirs qui liaient le vassal à son suzerain, le service militaire était le plus essentiel et le plus impérieux. Le vassal