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des titres nobiliaires et à leur conférer des privilèges rappelant ceux dont jouissaient en Allemagne les petits princes souverains, à s’en faire ainsi de véritables vassaux. Mais il eût été dangereux pour l’empereur d’instituer ces fiefs en France, précisément là où s’était manifestée une haine si prononcée contre le régime féodal. Il eût fallu d’ailleurs dépouiller les acquéreurs des biens nationaux et reconstituer des biens de mainmorte. Napoléon jugea que la chose n’était praticable que sur un sol étranger et que nos victoires avaient soumis à l’empire. C’est donc en Italie qu’il constitua ces nouveaux fiefs de dignité, et il les attribua pour prix de leurs services à plusieurs de ses maréchaux et de ses ministres. Tel fut l’objet du décret du 30 mars 1806 rendu à la suite de la réunion au royaume d’Italie des états vénitiens cédés par le traité de Presbourg (26 décembre 1805). Napoléon crut pouvoir, en qualité de roi d’Italie, faire ce qu’il n’avait osé comme souverain de la France, pays qui était encore nominalement une république. Il érigea dans ces provinces douze grands fiefs avec le titre de duchés, sous les noms de Dalmatie, Istrie, Frioul, Cadore, Bellune, Conegliano, Trévise, Feltre, Bassano, Vicence, Padoue, Rovigo, se réservant d’en donner l’investiture avec transmission héréditaire par ordre de primogéniture, et il attribua aux titulaires de ces fiefs le quinzième de leur revenu. Il en agit de même dans l’Italie méridionale, et par le décret qui appelait au trône de Naples son frère Joseph (30 mai 1806) il institua dans ce royaume six grands fiefs de l’empire avec le titre de duché et les mêmes avantages et prérogatives dont jouissaient les duchés qu’il venait de créer dans les provinces vénitiennes réunies à la couronne d’Italie. Ces grands fiefs étaient également établis à perpétuité à sa nomination et à celle de ses successeurs.

La France reçut silencieusement ces décrets ; il était à cette époque dangereux de parler librement ; la gloire de Napoléon éblouissait le pays et les folies sanglantes de la démagogie y avaient amené un esprit de réaction qui faisait facilement accepter le retour aux institutions du passé. Napoléon se décida alors à pousser plus loin la constitution d’une noblesse héréditaire, à ne plus lui donner seulement des fondemens hors de l’empire, mais à la relever sur le sol même où elle avait été proscrite. En prenant une telle résolution, il suivait d’ailleurs les conseils de quelques-uns des hommes dans lesquels il avait mis sa confiance. Diverses personnes lui faisaient parvenir des mémoires sur l’utilité qu’il y avait à rétablir une noblesse, institution qui donnerait à la nouvelle monarchie une assiette plus solide ; sur la nécessité de refaire une classe indispensable à la stabilité des institutions et à la pondération des pouvoirs. Plusieurs de ces mémoires ont été conservés. Dans l’un, qui a pour auteur un