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question accessoire d’administration intérieure surgit : la majorité les abandonne, et ils donnent leur démission. Voilà le pays lancé dans l’inconnu. Quelle puissance étrangère peut s’engager à fond avec un ministre qui tombera peut-être demain et qui ne peut jamais répondre des volontés de la chambre dont il dépend ? La conduite d’une négociation importante devient encore bien plus difficile, quand les députés prennent l’habitude, ainsi que cela a lieu de plus en plus en Angleterre et en Trance, de harceler le ministre des affaires étrangères de questions et d’interpellations, et quand le parlement prétend diriger lui-même la politique extérieure. Il n’y a point de fonction à laquelle il soit moins propre que celle-là. Il ne peut jamais connaître à fond la situation du moment ; car on ne peut évidemment tout dire à la tribune, voulût-on même publier des livres bleus, verts ou jaunes, chaque semaine ou chaque jour. Le dessous des cartes, les pensées de derrière la tête, ce que l’on entrevoit, ce que l’on craint, ce que l’on projette, c’est-à-dire les élémens du drame politique, ne peuvent apparaître dans les pièces diplomatiques, et il serait fréquemment imprudent de les mentionner même dans un comité secret. La chambre manque donc de la base indispensable pour émettre un jugement bien motivé ; elle ne connaît pas suffisamment les faits. En outre, un parlement est toujours une foule. Tel jour, un mot mal choisi l’indisposera contre le ministre ; tel autre jour, il se laissera entraîner par l’éloquence d’un orateur d’opposition. Parlez-lui de l’honneur national compromis, de prestige à conserver, et il est capable d’adopter d’enthousiasme les résolutions les plus insensées. Certainement il appartient au pays et au parlement de déterminer la ligne de conduite générale qu’il faut suivre et de dire, par exemple, s’ils veulent la paix ou la guerre. Ils peuvent renverser qui veut les conduire où ils ne désirent pas aller. Mais quand le cabinet représente les vues de la majorité, celle-ci a tout intérêt à le laisser agir librement. Il peut arriver souvent que la chambre comprenne mieux que le ministère le véritable intérêt du pays, car, en définitive, c’est la nation qui paie ; mais quand il s’agit de la pratique, un ministre médiocre sera toujours plus habile que le parlement le plus distingué.

Dans une monarchie les inconvéniens du régime parlementaire appliqué à la politique étrangère, sont parfois mitigés par l’intervention d’un souverain prudent et éclairé. Il peut, dans la mesure de son influence, apporter de l’esprit de suite dans la direction des affaires. Par sa position élevée, par ses relations de famille, il obtiendra des informations, des confidences qu’on ne communiquera pas à un ministre de passage, crainte de les voir paraître dans un blue book, dans une lettre ou dans un discours au parlement. C’est ainsi que le roi Léopold Ier de Belgique était le confident et le conseiller