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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/843

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entretiennent, réglementent et inspectent les écoles publiques de toute espèce et de tous les degrés, et ont ainsi en mains l’instruction, c’est-à-dire l’avenir du pays ; ils nomment les évêques et d’une main paient les ministres du culte et de l’autre les danseuses court-vêtues qui exhibent leurs grâces à l’Opéra ; ils entretiennent les instituts, les académies, les observatoires, les laboratoires et encouragent les lettres, les beaux-arts et les sciences ; ils déterminent combien d’hectares seront plantés en tabac, combien chaque hectare aura de plantes et chaque plante de feuilles, et ils nomment à cet effet des inspecteurs spéciaux chargés de les compter ; ils vendent ce stupéfiant dans les bureaux privilégiés dont ils désignent les innombrables agens répandus dans tout le pays ; ils transportent lettres, télégrammes et articles de finance, ce qui exige encore toute une légion d’employés ; ils construisent des routes et des chemins de fer, creusent des ports et des canaux, ce qui se fait par le corps très nombreux des ponts et chaussées ; ils exploitent des forêts domaniales, reboisent les hauteurs et surveillent les terres boisées des particuliers, ce qui donne naissance à l’administration forestière ; ils font de la porcelaine à Sèvres et des tapis aux Gobelins ; par les droits dédouane, par les accises et par les primes aux industries favorisées, ils déterminent la direction du travail dans toutes les branches de la production, et pour empêcher ainsi chacun de vendre, d’acheter et de fabriquer au mieux de son intérêt, il leur faut encore des régimens d’employés ; ils choisissent le gouverneur de la Banque centrale qui donne la note dominante au crédit ; ils ouvrent des bibliothèques, des archives, des conservatoires, pour lesquels il faut bibliothécaires, sous-bibliothécaires, archivistes, sous-archivistes, aspirans, commis, portiers, tous fonctionnaires ; c’est de par eux qu’existent et qu’opèrent agens de change, pharmaciens, notaires, débitans de boissons ; ils déclarent à quelles conditions et en vertu de quels examens on sera avocat, médecin, professeur, instituteur, ingénieur, garde-côte ou garde-barrière ; ils ont en mains la magistrature tout entière, c’est-dire la base sur laquelle repose la propriété, la famille, la sécurité publique, en un mot, l’édifice social tout entier ; ils entretiennent les prisons, les colonies pénitentiaires, les institutions de réforme, d’où nouveau bataillon d’agens rétribués par l’état. Ai-je tout dit ? Il s’en faut ; mais comme on ne peut prolonger indéfiniment cette trop longue énumération je citerai seulement l’armée et la marine, cette formidable institution sans précédent dans l’histoire, qui, désormais partout organisée à la prussienne, avec service universel et obligatoire, saisit la population mâle toute entière et fait du pays une caserne et un camp, où le militarisme allemand est venu se greffer sur la centralisation française. La nation est devenue l’état, et l’état, c’est le ministère.