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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/86

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nait sur le visage gracieux et fin, mais assez souvent railleur, de cette muse sceptique.

Au même moment, la porte s’ouvrit, et une ravissante petite personne de six ou sept ans entra, le chapeau sur la tête, les mains gantées et tenant une corde à sauter.

— Je m’en vais, mère ; Betsey m’attend. Tu sais, je rentre ce soir à la pension ; tu me reconduiras, dis ?

— Comme d’habitude. Monsieur de Trémont, je vous présente ma fille, miss Henriette, vulgairement Bébé, ou, plus correctement, Bahy.

Elle était plus que charmante, Bébé ou Baby, avec ses cheveux déjà longs qui lui pendaient sur le dos, enveloppant ses épaules de leurs mèches brunes ondulées du haut en bas, ses yeux bleus à cils noirs, qu’elle semblait avoir volés à sa mère, et ses jambes maigres, qui se montraient nues et brunes au-dessous d’une jupe courte en drap vert, de forme écossaise. Mais Roger était tout interloqué. Jane avait une fille ! Ce mélange de maternité et de gaudriole mettait le comble à son étonnement. Quand l’enfant fut partie :

— Comment ! dit-il, vous avez une fille ?

— Cela vous étonne ?

— Un peu.

— Et je l’élève bien.

— Ça, ça ne m’étonne pas.

— Merci. Mais, bien entendu, je ne l’élève pas chez moi.

— Sans indiscrétion, et pour parler en français l’anglais d’écurie auquel on vous a habituée, est-ce que c’est un produit du baron, cette jolie petite fille ?

— Non, grâce au ciel ! C’est un enfant de l’amour, ma première faute, la seule qui ait pris un corps, heureusement ! Du reste, c’est généralement la première qui coûte le plus cher, bien que ce soit la plus excusable. Enfin, tel qu’il est, ce fruit de ma première faute, je l’adore. Car, vous savez, on peut être ce que je suis et aimer ses enfans, quand on en a, n’en déplaise aux amateurs de classifications faciles, qui ont des étiquettes toutes préparées à coller dans le dos de chacun : blanc, noir, bon à canoniser, voué à la potence, etc., n’en déplaise même aux chroniqueurs qui, tout dernièrement, à propos de je ne sais quelle femme connue revendiquant la tutelle de sa fille, se mettaient en dépense de calembredaines pour ridiculiser les femmes entretenues qui se permettent d’être bonnes mères. Il est vraiment dommage que la préface de Mademoiselle de Maupin sur les journalistes vertueux ne soit plus à écrire ; elle serait, j’imagine, plus opportune aujourd’hui qu’au temps où elle fut lancée. Maintenant, c’est principalement le chro-