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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/867

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à l’est, vers l’origine extrême des versans aralo-caspiens, l’Altaï, qui, au même titre que le célèbre plateau de Pamir, peut être considéré comme un « toit du monde. » Un filet d’eau qui ne s’évaporerait pas en route et remplirait par suite, à la longue, toutes les dépressions intermédiaires, pourrait être à volonté dirigé suivant sa pente naturelle, à partir de l’Altaï, vers l’Atlantique par Gibraltar, vers l’Océan Glacial par l’Ienisséi, vers le Pacifique par l’Amour. C’est au pied de l’Altaï, près la petite ville de Barkoul, en Dzoungarie, que se trouve le véritable sommet de la dépression aralo-caspienne, à une altitude qui ne paraît pas dépasser 1,200 à 1,500 mètres, hauteur de seuil bien faible pour une région où se trouvent des montagnes de plus de 7,000 mètres.

Au-delà du seuil de Barkoul, la grande dépression asiatique se continue avec une pente inverse par la vallée de l’Amour et les versans du grand désert de Gobi, inclinés vers une ancienne mer de l’Asie centrale, dont la cuvette aujourd’hui sillonnée par le Tarim était presque aussi étendue que celle de notre Méditerranée.

Dans des conditions inverses de celles du Danube, qui, en Europe, reporte le faîte hydrologique au-delà de la chaîne dorsale des Alpes, cette dépression du Tarim qui n’appartient pas aux versans de la Méditerranée, laisse le faîte de ces derniers en-deçà de la grande chaîne culminante du continent asiatique, qui, partant des cimes de l’Himalaya, se prolonge par les puissantes montagnes du Kouenlun, ceinturant l’empire chinois d’un inexpugnable rempart.

En fait, les deux versans opposés de la Méditerranée et du Tarim, que réunit plutôt qu’il ne les sépare le seuil de Barkoul, constituent un même ensemble orographique et géographique. Quant au seuil en lui-même, si inconnu, si peu fréquenté qu’il soit aujourd’hui, n’unissant encore que des régions désertes, il n’en est pas moins la grand’ porte de l’extrême Orient, le point de passage obligé des relations continentales qui s’ouvriront un jour entre l’Europe et l’Asie orientale, quand nous aurons bien voulu reconnaître que notre grand engin de civilisation moderne, le chemin de fer, est plus apte encore à franchir le désert que les montagnes.

Si nous reprenons le faîte hydrologique de la Méditerranée au seuil de Barkoul, nous le voyons suivre les hautes cimes des monts Célestes au nord-ouest du Tarim, pour rejoindre la grande arête dorsale asiatique, à l’Hindou-Kouch, au sud du plateau de Pamir, et se continuer avec elle vers le nord-ouest, en se rattachant au Caucase et au Taurus pour venir se perdre dans les sables de l’isthme de Suez. En ce point, le bassin de la Méditerranée présente une coupure, une issue sur l’océan, tout au moins aussi naturelle que celle du détroit de Gibraltar, car si l’homme a pu sans trop d’efforts couper l’isthme, il ne serait peut-être pas au-dessus de ses moyens d’action