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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/891

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plus de faire cet aveu ; sans me rendre coupable d’un mensonge, au sens entier du mot, n’avais-je pas laissé entendre au colonel que je n’avais pas vu son chien ? Bien souvent on cherche à se donner le change, en se persuadant que jongler avec la vérité n’est pas mentir ; je ne vois pas bien la différence, moralement parlant, mais le fait n’en existe pas moins ; seulement c’est un jeu dangereux, car lorsque la lumière se fait et qu’on est obligé, pour se disculper, d’expliquer comme quoi et comment vos paroles ne constituaient pas un véritable mensonge, on ne peut guère après cela se flatter d’obtenir un grand crédit.

J’avais encore en ce moment un moyen de sortir de difficulté : laisser croire au colonel que le malheur m’était arrivé après notre entrevue ; malheureusement le caniche se raidissait et se refroidissait pendant ce temps-là ; et il eût été facile de se rendre compte du moment précis où Bingo avait dû passer de vie à trépas.

Lilian apprendrait à son tour la litanie de mensonges que j’avais débitée au colonel près du cadavre de Bingo, et jamais elle ne me pardonnerait cet abominable sacrilège ; ma déloyauté l’indisposerait plus contre moi que tout le reste. Néanmoins je ne pouvais plus reculer ; il me fallait continuer coûte que coûte dans la mauvaise voie où je m’étais engagé. Moi qui avais la prétention de conserver intact le dépôt des principes de droiture qui m’avaient été inculqués, je devais maintenant en faire mon deuil : si je voulais persister à conquérir Lilian, j’étais condamné à mentir, à dissimuler et à feindre sans scrupule, — sinon sans remords.

Après mûre réflexion, je me décidai à enterrer le pauvre défunt à la place même où il était tombé, et surtout à n’en rien dire. Je commençai, je ne sais pourquoi, par lui enlever son collier d’argent, puis j’enfouis Bingo sous terre à l’aide d’une bêche, effaçant avec soin toute trace de l’événement. J’éprouvai un soulagement réel à penser que, dorénavant, rien ne m’obligerait à faire l’aveu de ma mésaventure et à courir le risque de perdre l’estime de mes voisins.

Peu de temps après, je me promis de planter là un rosier, me disant qu’un jour où, au comble du bonheur conjugal, Lilian et moi admirerions nos fleurs, j’aurais peut-être alors le courage d’avouer que ce pied de rosier devait, à n’en pas douter, une grande partie de sa beauté au pauvre caniche disparu depuis si longtemps.

Cette pensée, empreinte d’une certaine poésie, dissipa un instant mes soucis. Je n’allai pas ce soir-là chez mes voisins ; je ne me sentais pas de force à subir pareille épreuve ; ma physionomie seule aurait suffi à me trahir ; je trouvai plus prudent de rester