— Je ne saurais me séparer d’un caniche de cette valeur sans avoir au moins quelque preuve de votre identité,
— Voilà ma carte ; cela vous suffit-il ?
Il la prit, la tourna, retourna, épelant même le nom pour plus de sûreté ; mais il était clair que le vieux renard se disait que, si j’avais perdu un chien, ce n’était pas celui-là. Mettant ma carte dans sa poche, il ajouta :
— Vous comprenez que si je consens à vous remettre ce chien, il faut que ma responsabilité soit sauve ; je n’entends pas m’attirer des désagrémens. Vous avez donc le choix : ou laisser ici le caniche quelques jours encore, ou l’emmener de suite en payant en conséquence.
Il me tardait trop de sortir au plus tôt de cette atroce affaire pour hésiter un instant. Lilian ne valait-elle pas mille fois mieux que tout l’or du monde ? J’affirmai de nouveau à M. Blagg que ce caniche était bien celui que je cherchais, mais que je ne lui donnerais pas moins ce qu’il voudrait pour l’emmener tout de suite. Le marché conclu, je payai et je partis, suivi du fameux duplicata que j’espérais faire passer à Shuturgarden pour le regretté caniche.
Il est incontestable que j’étais dans mon tort : entre voler un chien et l’action que j’avais commise, la différence me paraît peu appréciable… Mais que voulez-vous ? j’étais exaspéré,.. désespéré, fou ! Je voyais Lilian à jamais perdue pour moi si je ne saisissais cette dernière planche de salut… La tentation était trop grande et, comme je n’en étais plus à faire mon premier pas dans la mauvaise voie (le seul qui coûte, d’après le proverbe), j’y succombai.
Lecteurs, soyez assez généreux pour m’accorder le bénéfice des circonstances atténuantes et pour mêler un peu de pitié à votre mépris !
Ce jour-là, ayant dîné en ville, je pris l’un des trains du soir pour revenir chez moi avec ma nouvelle acquisition ; l’animal eut une conduite irréprochable pendant tout le trajet ; ce n’était pas une bête à se compromettre par quelque manque flagrant de savoir-vivre : doux, obéissant, il offrait, sous le rapport du caractère, le contraste le plus frappant avec celui de son semblable. Malgré cela, je trouvais qu’il me regardait noir, comme si le rôle qu’il était appelé à jouer ne souriait pas à sa nature droite et sans détour. Condescendrait-il à me seconder dans mes plans ? Sa ressemblance avec Bingo était si trompeuse que je courais, en définitive, bien peu de risque que ma fraude fût démasquée.
Une fois arrivé à la maison, je mis le collier d’argent de feu Bingo autour du cou de son sosie, me félicitant de la prévoyance dont j’avais fait preuve dans la circonstance. Je le conduisis ensuite