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contre l’état (et dont celui-ci s’était libéré par voie de confusion), en tout un peu plus de 60 millions. Cet actif, ayant été grevé d’un passif de 29,322,691 fr. 81, l’excédent au profit du trésor s’élevait à 36,961,151 fr. 56. Si l’on ajoutait à cette somme les revenus et les intérêts perçus depuis vingt ans, cet excédent dépassait 60 millions[1]. Les princes d’Orléans abandonnaient donc au trésor une très grande partie de leur patrimoine, et le gouvernement de la république n’a pas altéré les faits lorsqu’il a signalé, dans l’exposé des motifs du 9 décembre 1871, « le désintéressement des ayans droit. »

Ce désintéressement n’a rien qui nous étonne, ont murmuré quelques mécontens : quand on a des droits douteux, on transige, et les princes ont fait comme tant d’autres; ils se sont tirés d’une situation difficile par une transaction. C’est une erreur. Le code civil définit la transaction ; « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître; » il n’y a donc transaction que si les parties traitent sur un droit litigieux ou douteux[2]. Or le seul droit qu’ait réclamé la famille d’Orléans, celui de reprendre ses biens non vendus, avait-il ce caractère?

Le gouvernement reconnut tout d’abord que l’état les détenait en vertu d’un acte « illégal, » c’est-à-dire nul. La commission fit un pas de plus et déclara solennellement, par l’organe de son rapporteur, qu’il était impossible de conserver à l’état « ce qui n’avait jamais été à l’état. » Ce rapporteur alla jusqu’à dire, dans la séance du 22 novembre 1872 : « Il s’agit de savoir si l’état doit se faire en quelque sorte le receleur de la fortune d’autrui. » Quoi! le droit qu’on a caractérisé si fortement était douteux? Ni le gouvernement, ni la commission, ni l’assemblée ne l’avaient mis un moment en doute. Litigieux? Personne ne songeait à le contester devant les tribunaux. Est-ce qu’on peut faire un procès à qui vient dire : Je suis détenteur illégitime et je ne veux pas receler plus longtemps vos biens; reprenez-les? Donc les princes d’Orléans ne pouvaient pas « transiger, » parce qu’il n’y avait pas matière à transaction. C’est pourquoi le projet de loi disait : « L’assemblée nationale donne acte aux princes d’Orléans de leur renonciation,.. » et la loi disait elle-même : « Conformément à la renonciation offerte et réalisée par les héritiers du roi Louis-Philippe... » Ce mot « renonciation » ne fut pas introduit et maintenu dans le texte à la légère ou par une condescendance déplacée ; on l’employa parce qu’il était le mot

  1. Ces chiffres sont empruntés au rapport de M. Robert de Massy.
  2. « On peut poser en principe que toute transaction ayant pour objet des droits non douteux serait non-seulement annulable, mais inexistante et non avenue, du moins comme transaction. » (M. Pont, Explication théorique et pratique du Code civil, t. IX, p. 569.)