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bien mon entreprise, et c’est ainsi qu’un soir de la fin d’avril, léger de bagages et plein d’entrain, je dis adieu à ma famille, un peu effrayée de la destination baroque que j’avais choisie, et je m’embarquai à la gare de l’Est pour les bords de la Save et du Danube.

Revenu deux mois après avec la fièvre, je ne pus m’occuper immédiatement de rédiger mon voyage et, bientôt ressaisi par les mille obligations de la vie pratique, j’oubliai dans un tiroir mes calepins et mes albums de touriste. Ils y seraient sans doute encore si l’insurrection qui a éclaté au printemps dernier dans les pays que je visitai alors n’était venue donner un regain d’actualité à mes souvenirs d’il y a trois ans. C’est ce qui me décide à publier tels quels ces extraits de mes impressions journalières ou des lettres adressées à ma famille et à mes amis.

Si certaines modifications d’ordre purement administratif ont pu se produire depuis mon excursion par suite de l’occupation austro-hongroise, les populations n’ont pas changé, et on peut affirmer que leurs sentimens sont restés les mêmes, car nous sommes déjà ici dans l’immuable Orient. De plus, ces notes primesautières auront certainement, à défaut d’autre mérite, celui d’avoir été écrites sans aucune sorte de parti-pris, ce qu’il eût été bien difficile d’éviter dans un travail de forme plus sérieuse. Je n’ai cherché à être agréable ou désagréable à qui que ce soit. J’ai dit ce que j’ai vu et entendu, et j’ai voulu avant tout, voyageur véridique, faire une œuvre de bonne foi.

Il faut pourtant que je me confesse de la seule préoccupation qui soit entrée dans mon esprit, en dehors des impressions même que je ressentais. Voyageant avec une mission qui, bien que d’un caractère tout scientifique, m’obligeait à voir les choses d’un peu plus près qu’un simple touriste, et me trouvant être le premier Français qui, depuis bien longtemps et en dehors de nos agens consulaires[1], fût admis à parcourir aussi complètement ces contrées si récemment ouvertes à l’Europe civilisée et dans lesquelles les sympathies pour la France sont pour ainsi dire innées, j’ai certainement subi l’influence de ces sympathies auxquelles notre pauvre pays n’est plus guère accoutumé maintenant à l’étranger, et j’ai cherché à étudier en patriote français des nationalités vivaces trop peu connues des Français.

Je serais heureux si la publication de ces pages rapides pouvait

  1. Parmi ces agens, je dois citer M. E.-P. de Sainte-Marie, qui a publié plusieurs notices sur l’Herzégovine. — Il n’est que juste aussi de rappeler l’ouvrage de M. C. Yriarte, publié en 1876, sous le titre de Bosnie et Herzégovine, souvenirs de voyage pendant l’insurrection. Malheureusement l’auteur ne put pénétrer en Bosnie que jusqu’à Banjaluka, et en Herzégovine jusqu’à Mostar.