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définitivement chassés par les Turcs en 1483, tandis que le troisième, Stéphan, livré en otage par son père et imitant sa félonie, se faisait musulman et devenait, sous le nom d’Herzek-Ahmed-Pacha, le gendre du sultan Mehemed, qui le créait beglerbeg de Roumélie. Telle fut la triste fin de la dynastie des Hranitch et de la domination chrétienne dans la Bosnie et l’Herzégovine.

Dès lors, ces deux malheureuses provinces, devenues partie intégrante de l’empire ottoman, furent le principal champ de bataille de la grande guerre entre les Turcs, les Magyars et les Vénitiens, et, au lieu de servir de rempart à l’Europe chrétienne, elles devinrent bientôt la tête d’attaque du croissant contre la croix. La désastreuse bataille de Mohacz (1526), dans laquelle les Hongrois et les Tchèques furent écrasés et leur roi Jagellon tué, valut à la maison de Habsbourg la couronne impériale, spontanément offerte par les chrétiens épouvantés, et assura aux Turcs la conquête des pays au sud de la Save. Néanmoins ce ne fut qu’en 1699, et après une nouvelle série de luttes continuelles entre les Magyars et les Osmanlis pour la possession de la Bosnie, et entre ces derniers et les "Vénitiens pour celle de l’Herzégovine, que ces deux malheureuses provinces furent reconnues par le traité de Karlowitz comme définitivement et irrévocablement annexées à l’empire ottoman.

Désormais isolées du reste de la chrétienté, oubliées et abandonnées à leur sort, livrées, par le fait de la conquête, à un régime agraire désolant et ruineux, — régime dont nous aurons occasion de reparler plus loin, — vivant complètement en dehors de l’histoire et de la civilisation, elles formèrent comme une tache notre sur la carte de l’Europe méridionale.

De temps à autre seulement, une insurrection, — cri de désespoir bientôt étouffé dans le sang, — rappelait au monde qu’il y avait là un peuple qui agonisait; puis tout retombait dans le silence jusqu’à ce qu’une autre génération, lasse de souffrir, tentât un nouvel effort, également impuissant.

Enfin le traité de Berlin (juillet 1878), en donnant à l’Austro-Hongrie la mission, — longtemps désirée par elle, — d’occuper les provinces slaves de la Turquie, mit un terme à cet isolement contre nature; et malgré les résistances partielles des musulmans bosniaques et herzégoviniens et la mauvaise humeur de la Russie, cette occupation fut acceptée comme un bienfait par la grande majorité de la population des deux provinces et accueillie avec un soupir de soulagement par l’Europe qui, malgré son égoïsme, avait honte de l’état d’abandon dans lequel elle laissait des frères de race et de religion.

C’est à ce moment et quelques mois après l’occupation autrichienne,