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Ce petit railway a seulement 0m,75 de gabarit. Les traverses, — dont beaucoup sont en sapin ou autres bois blancs, — ont 1m,50 de longueur et reviennent, toutes posées, à 1 florin la pièce. C’est cher, penserez-vous, dans un pays où le bois est pour rien, et vous n’avez pas tort. Mais il faut compter avec la paresse des Bosniaques qui, tant chrétiens que musulmans, résistent aux réquisitions (bien que ces réquisitions leur soient mieux payées que toute autre main-d’œuvre locale), de manière à obliger presque partout à se servir d’ouvriers étrangers, en grande majorité Italiens, et aussi avec l’absence de voies de communications, qui rend les transports très difficiles. Aussi a-t-on dû se contenter d’un railway tout à fait rudimentaire, et on l’a fait passer par monts et par vaux. Ainsi, le terrassement n’est préparé que pour une voie; il est vrai que, dans ce pays, l’expropriation du terrain nécessaire pour la pose d’une seconde voie, ne coûterait pas grand’chose, — si l’on n’attend pas trop longtemps, — car le gouvernement s’est contenté de payer les maisons qu’il a fallu démolir; quant à la terre aux champs, on l’a prise provisoirement sans indemnité, faute de savoir à qui elle appartient; les droits de chacun sont réservés et le règlement doit se faire quand le cadastre auquel on va procéder sera terminé.

La chemin de fer fait des détours sans fin pour traverser la ligne de faîte entre la vallée de la Save et celle de la Bosna; c’est ce qui explique la longueur des distances kilométriques entre des stations très rapprochées l’une de l’autre à vol d’oiseau. La station de Modron est le point culminant: de Dervend à ce point, on monte de 160 mètres, à peu près 1 mètre pour 80.

Les poteaux télégraphiques sont très primitifs, de simples brins de bouleau non écorcé. Quant aux ponts, ils sont tous en bois, bien entendu. Du reste, tout est en bois en Bosnie, et cela se comprend, si l’on songe qu’il y a dans cette province 400,000 milles carrés de forêts, tant à l’état qu’aux communautés, aux vakoufs et aux particuliers. Que de richesses encore inexploitées, ou, ce qui est pis encore, mal exploitées !

Pour en revenir à notre chemin de fer, il a été ouvert jusqu’à Dervend en novembre 1878 et en mars 1879 jusqu’à Doboj. Les travaux sont entrepris seulement jusqu’à 41enitza, parce que de ce pointa Serajewo, la route est toujours bonne, tandis que de la Save à Zienitza, les chemins sont tellement mauvais que, l’hiver dernier, mille voitures du train ont été arrêtées par une fondrière pendant deux jours entiers. Pour le moment, les rails ne dépassent pas Zeptche, où on a trouvé du charbon qui sert à alimenter les machines. Le chemin de fer coûte à l’état de 25 à 30,000 florins le kilomètre, matériel compris (soit vingt locomotives et quatre cents wagons) ; et rien que cela empêcherait à jamais la Turquie de remettre pacifiquement