moins, est ferme et le vers souvent bien frappé; certaines tirades sont d’une bonne langue de tragédie politique. M. Paul Mounet, M. Brémont, Mlle Tessandier, dans les principaux rôles de cet ouvrage, méritent d’être applaudis. Pourtant ce n’est pas Amhra ! qui remplira la caisse de l’Odéon. Ce n’est pas non plus le Mariage de Racine, comédie ingénieuse, écrite en jolis vers par MM. Guillaume Livet et Vautrey, pour l’anniversaire de la naissance du poète : l’attrait d’un si petit ouvrage est trop faible.. On voit du moins que le directeur de l’Odéon et son associé respectent la tradition comme le cahier des charges. Il faut leur pardonner, parce qu’ils font beaucoup et profitent peu, d’avoir compté sur ce ragoût d’un demi-scandale et repris, à propos de Fèdora, le Drame de la rue de la Paix.
L’ouvrage de M. Belot contient, en son premier acte, une scène fort bien menée : celle de l’interrogatoire d’Albert dans le cabinet du juge d’instruction. La donnée de la pièce est intéressante, sans avoir la valeur dramatique que lui a communiquée M. Sardou. Enfin, si l’on se rappelle qu’au dernier acte, Julia Vidal avoue ses soupçons passés à l’homme qu’elle croit innocent et qu’elle aime, je reconnais que cette confession spontanée a quelque chose de plus naturel et de plus humain que le silence gardé jusqu’au bout par Fèdora, lequel sent un peu l’artifice. Mais l’exécution de tout ce drame est grossière, incertaine, maladroite ; la partie épisodique est d’un burlesque qui ne sort pas de la convention vulgaire du mélodrame et du roman-feuilleton. L’exécution de Fèdora, au contraire, est d’une netteté, d’une sobriété, d’une sûreté, qui prouvent un maître artisan ; et je terminerai comme j’ai commencé, en disant que l’idée première de la pièce méritait d’être ainsi traitée. L’artisan, cette fois, n’a pas servi un artiste qui fût indigne de lui. On peut préférer la comédie de mœurs et même la comédie dramatique au drame, et le Sardou de la Famille Benoîton, de Nos Intimes, de Maison neuve à celui-ci. Mais ce fait divers dialogué, ce drame judiciaire, ce mélodrame est, enfin de compte, une tragédie; une tragédie réduite à la prose, à la prose active et sans agrémens de M. Sardou, réduite aussi aux allures violentes et brèves qui émeuvent plus que d’autres les nerfs émoussés du public de ce temps; cependant, à considérer l’ouvrage en ses élémens moraux, en son essence pure, on ne peut lui refuser cet éloge, qui doit mieux que tout autre chatouiller l’auteur : on ne peut nier contre Aristote que ce soit une tragédie.
LOUIS GANDERAX.