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portons en nous-mêmes et qu’il nous est si difficile de bien connaître, précisément parce que tout nous y est présent à la fois dans la plus confuse complexité[1].

L’activité qui fait le fond de tous les états de conscience n’est point un principe abstrait ; elle est la vie même du moi, sous toutes ses formes : non-seulement ce qu’on appelle, dans un sens restreint, la vie active, c’est-à-dire tous les mouvemens instinctifs, habituels ou volontaires que nous imprimons à notre corps, mais la vie intérieure, la vie de la sensation et au sentiment, de l’imagination et de la pensée. Dans ses manifestations de tout ordre l’activité appartient à l’animal comme à l’homme. C’est se payer de mots que d’appeler instinct l’activité de l’animal et d’attribuer à l’homme seul une activité intelligente. Le nom d’instinct ne prend un sens que s’il exprime, chez l’homme comme chez les animaux, certains actes qui ne s’expliquent ni par l’intelligence ni par la volonté. Nous ne prêtons des instincts aux animaux que par analogie avec nos propres instincts, et, par une analogie aussi légitime, nous ne pouvons leur refuser une activité intelligente et volontaire. « Partout, dit un éminent naturaliste, M. Blanchard, l’intelligence se montre unie à l’instinct : pas d’instinct possible sans une intelligence pour le diriger et le dominer. » La philosophie spiritualiste ne tient pas un autre langage. M. Janet reconnaît dans l’animal une certaine intelligence, toute sensitive, il est vrai, « constituée presque exclusivement par la sensation, la mémoire et l’imagination, » mais à laquelle cependant ne font pas défaut les opérations intellectuelles proprement dites ; « car l’animal est capable d’attention et, par conséquent, de perception ; il est capable de quelque degré d’abstraction et de généralisation, de quelque degré de raisonnement ; enfin, il est capable de langage. » Or, si l’animal a une certaine intelligence, il a, par là même, une certaine volonté ; car la seule différence entre l’acte volontaire et l’acte instinctif est que le premier est intelligent et que le second ne l’est pas.

Si les animaux ont la volonté, ont-ils aussi le libre arbitre? Il est difficile de répondre négativement quand on admet, avec M. Janet et la plupart des spiritualistes, l’identité de la volonté et de la liberté. On peut nier le libre arbitre pour des raisons métaphysiques ou au nom de certaines théories scientifiques ; mais ceux qui le reconnaissent ou qui croient le reconnaître dans les actes volontaires de

  1. Dans son beau livre intitulé : de la Science et de la Conscience, M. Vacherot a tiré de sa théorie de la conscience une excellente réfutation de toutes les erreurs dans lesquelles sont tombées les sciences expérimentales, les sciences historiques et les sciences métaphysiques pour avoir méconnu l’activité propre du moi. Voir aussi dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences morales et politiques (octobre-novembre 1882) une solide étude de M. Franck sur la volonté.