Dans cette conscience personnelle de l’impersonnel, il faut mettre à part la conscience de la loi morale reconnue, aimée, observée, non-seulement comme notre propre loi, mais comme la loi universelle de tous les êtres raisonnables. Après avoir élevé l’individu à la dignité d’une personne, il faut élever la personne elle-même à la dignité d’une personne morale. La personne morale est constituée par un ensemble de faits qui ont à la fois la valeur de vérités morales et le caractère de vérités psychologiques. Ces faits sont l’objet de ce que les philosophes appellent la conscience morale, et le vulgaire simplement la conscience. « Il n’y a pas, en effet, deux consciences, dit M. Bouillier, la conscience psychologique et la conscience morale; toutes les deux n’en font qu’une. » Je m’étonne toutefois que M. Bouillier, qui a si bien reconnu l’identité de la conscience morale et de la conscience générale, ait négligé le fait fondamental par lequel la première rentre dans la seconde. Il s’attache surtout à la loi morale qui, en elle-même, par son caractère universel et par son objet idéal, est une idée de la raison, et il laisse dans l’ombre le fait fondamental dans lequel nous nous sentons soumis à cette loi et obligés de l’accomplir. Nous nous sentons responsables de nos actes. Voilà, sans contredit, un élément essentiel de la conscience que nous avons de ces mêmes actes, soit dans la délibération qui les précède, soit dans la résolution qui les réalise, soit enfin dans la satisfaction ou le remords qui les suit. La responsabilité est un fait personnel, au même titre que tous les autres faits de conscience. Elle se rattache à tous ces faits, car elle suppose l’intelligence, qui nous éclaire sur la nature de nos actes, sur leurs mobiles et leurs conséquences, et la sensibilité, sans laquelle nos actes, bons ou mauvais, perdraient leur principal et peut-être leur seul stimulant ; elle suppose aussi la volonté libre et elle est même la seule preuve décisive de la liberté. Les mots de détermination fatale et de responsabilité morale hurlent ensemble dans la conscience de tous les hommes. Nous prétendons dégager notre responsabilité quand nous affirmons, à tort ou à raison, que nous avons cédé à un entraînement irrésistible, et quand nous n’affirmons pas un tel entraînement dans son sens absolu, nous croyons que le degré de notre responsabilité se mesure exactement sur le degré de notre liberté.
La philosophie déterministe cherche par deux moyens à écarter cette démonstration de la liberté par la responsabilité. Le premier,