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Cellini avait quarante ans passés quand il commença la sculpture. Encore dut-il souvent interrompre ses travaux de statuaire pour d’autres ouvrages que lui demandaient ses protecteurs. Et d’après certains passages de la Vita, il semble que cet homme, qui avait l’imagination si vive pour composer un sceau, la main si prompte à faire sortir une théorie de nymphes de la panse d’une aiguière, les doigts si agiles à chiffonner une guipure d’or autour d’une gemme, était plus lent s’il fallait concevoir et exécuter les grandes figures de bronze et de marbre. Les œuvres statuaires de Cellini sont donc en petit nombre. Le Jupiter colossal de Fontainebleau, que malheureusement l’artiste avait fondu en argent, a été mis au creuset; c’est la destinée de toutes les statues de métal précieux. Il ne reste de Benvenuto que la Nymphe de Fontainebleau, haut-relief de bronze placé maintenant au Louvre, les bustes de Cosme de Médicis et du cardinal Bindo Altoviti, le grand crucifix de marbre de l’Escurial et le Persée de la Loggia de Florence.

La Nymphe de Fontainebleau a été jugée avec trop de sévérité. Sans doute, il faut se garder de la comparer avec la Diane de Jean Goujon, cette statue simple et grande comme une figure de Raphaël et qui évoque à elle seule, par un miracle d’art, toute la renaissance française. Et pourtant il y a dans la sculpture très inférieure du Florentin des qualités d’exécution qu’on serait heureux de trouver dans l’admirable chef-d’œuvre de Jean Goujon. La nature y est mieux rendue, l’anatomie mieux étudiée, la chair plus souple. Les seins sont en proportion avec le torse, les bras sont modelés d’après le modèle vivant. Le faire magistral des sangliers, des chiens et de la tête du cerf, révèle en Cellini un animalier du plus grand mérite. Jean Goujon n’avait pas ce don-là; il est aisé de s’en apercevoir en regardant son cerf et son lévrier. Par quoi pèche la Nymphe, c’est par la longueur démesurée des jambes; ce qui lui manque, c’est la grâce des lignes, la noblesse naturelle de l’attitude, la vénusté adorable qu’on admire dans la Diane de Jean Goujon. Les bustes de Bindo Altoviti et du duc Cosme sont deux bons morceaux de sculpture iconique telle que l’entendaient les Italiens de la fin de la renaissance; dans ces bronzes traités d’une façon quelque peu superficielle et décorative, il ne faut pas chercher la psychologie puissante des bustes de Germain Pilon et de Barthélémy Prieur.

Le grand crucifix, œuvre étrange d’un grand savoir et d’une exécution remarquable, étonne et saisit; mais on a hâte d’en détourner les yeux. Il importe de se rappeler dans quelles circonstances cette figure a été conçue. Benvenuto était prisonnier depuis plusieurs mois dans un cachot du château Saint-Ange. Blessé, malade,