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de Pratolino, colosse de 25 mètres de hauteur, le Groupe de Ferdinand Ier, la Madone au tabernacle et tant de marbres et de bronzes qu’on pourrait encore citer, sont d’un mérite inférieur. La création la plus originale et la plus parfaite du maître de Douai est peut-être le Mercure volant. Pur de formes, élégant de dessin, léger de mouvement, il semble en vérité qu’il va quitter le socle où il ne touche que par l’extrémité du pied gauche et prendre son vol vers l’Olympe, a Que ceux qui veulent le voir se hâtent! » a dit Dupaty avec un lyrisme de bel esprit. On n’a pas tant à se hâter : le bronze ne vole pas et il est même inutile qu’il paraisse posséder cette aptitude. En saine esthétique, ne peut-on point reprocher à Jean Boulogne d’avoir cherché dans cette figure un effet en dehors de la statuaire? Nous n’apprécions point non plus l’invention du socle : une tête de Borée exhalant de sa bouche entrouverte un souffle de métal sur lequel repose toute la statue; on ne saurait pousser plus loin la recherche précieuse : c’est un concetti de bronze. Mais devant la grâce charmante du Mercure, il ne faut pas se laisser aller à des critiques de détails et à des critiques de tendance.

Les quatre grands groupes que nous avons nommés montrent dans Jean Boulogne la préoccupation constante des sujets où dominent les attitudes violentes et les actions instantanées. Ce sont des scènes de lutte ou de rapt d’un mouvement fougueux et emporté. Le sculpteur groupe les figures avec un curieux sentiment décoratif et équilibre les masses avec une science profonde. Toutefois, s’il est vrai que la modération du mouvement et la sobriété du geste soient des lois statuaires, nul n’y a contrevenu plus audacieusement que Jean Boulogne. La statue équestre de Cosme Ier fait certainement bonne figure au milieu de la place du Grand-Duc, mais est-ce là le grand caractère, le style mâle, l’exécution simple et forte du Gattamelata de Donatello ou du Coleoni de Verocchio? Encore que, dans ses bas-reliefs de la chapelle del Soccorso et des portes du dôme de Pise, il y ait un peu trop de bras agités en l’air et de jambes lancées en avant, ces sculptures sont des merveilles d’invention et de travail que l’on peut admirer sans réserve. Pour trouver l’effet, il faut à Jean Boulogne le mouvement des lignes, l’imprévu des gestes et des attitudes, la complication des groupes. Ce don du pittoresque, qu’il possédait au plus haut degré, mais dont il faut user avec ménagement dans la statuaire, Jean Boulogne pouvait librement le prodiguer dans l’art mixte du bas-relief.

On attribue ces paroles à Michel-Ange : « Mon style fera des maîtres ignorans. » Non, les sculpteurs qui s’inspirèrent de Michel-Ange, autrement dit tous les Italiens de la fin de la renaissance, sauf, à