on traverse d’abord une sorte de faubourg sur une route large et bien entretenue; puis on passe un petit cours d’eau sur un pont récemment construit, — tandis qu’on laisse à côté l’ancien pont slave ou turc d’une seule arche tellement aiguë qu’il est impossible de la traverser autrement qu’à pied ou à cheval. Si peu porté que l’on soit à faire des rapprochemens philosophiques, ce double pont vous frappe nécessairement quand on entre à Serajewo, car c’est comme une image saisissante du passé et de l’avenir du pays.
C’est par ce côté nord de la ville que les Autrichiens arrivèrent à Serajewo, et, comme la résistance fut opiniâtre et que l’événement est tout récent au moment où j’écris, je crois intéressant de donner quelques détails que je dois à des témoins oculaires.
Il avait d’abord été décidé que l’entrée des troupes aurait lieu le 18 août, jour anniversaire de la naissance de l’empereur; mais, comme la chaleur et les marches rapides avaient beaucoup fatigué les soldats, il fut ordonné, au contraire, que la journée serait consacrée au repos, et la division Tegethof, qui marchait la première, s’arrêta à quelque distance de la ville, dont les habitans purent entendre, dès le matin, les hurrahs et les hymnes nationaux répétés par tous les corps de l’armée envahissante. A deux heures de l’après-midi, pendant que le général Philippovitch, commandant en chef, inspectait du haut du mont Igman la ville et ses environs, une reconnaissance composée de deux batteries d’artillerie légère et de deux escadrons de hussards, sous le commandement des colonels barons Scotti et de Mecsery, s’approcha à moins d’un kilomètre de la ville et essuya le feu de deux batteries que les insurgés avaient placées sur les hauteurs à droite de la route; c’est à ce moment que le colonel Scotti, avec une audace et un sang-froid extraordinaires, galopa absolument seul et au milieu des balles jusqu’aux premiers murs de la ville, descendit, attacha son cheval et visita une maison qu’il trouva abandonnée ; dès son retour, les canons austro-hongrois, qui avaient, par quelques coups bien dirigés, fait taire les pièces ennemies, furent réattelés, et la reconnaissance rentra au camp sans avoir perdu un seul homme.
Pendant ce temps, les idées de résistance désespérée prenaient le dessus dans l’intérieur de la ville. La partie aisée de la population avait d’abord essayé de faire prévaloir la raison, et, durant la nuit du 17 au 18, on s’était déterminé à envoyer une députation au commandant en chef pour l’inviter à prendre pacifiquement possession de la ville. Malheureusement, le 18, dans la matinée, arrivèrent les trois grands agitateurs Hadji Jamakovitch, Achmed effendi Nako et Hadji Kaufchi, et, sous la pression de leurs menaces, on résolut de résister à outrance. Aussi, pendant que les gens paisibles se renfermaient dans leurs maisons et se rachetaient à prix