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Des soldats blessés étaient égorgés sur place par des passans; un officier du 46e régiment d’infanterie fut assassiné d’un coup de pistolet à bout portant par un musulman qui venait de l’inviter à se rafraîchir sur le pas de sa porte; les coups de feu partaient même des rues situées bien en arrière des premières colonnes d’attaque et déjà parcourues par les troupes; bientôt les soldats, exaspérés, ne firent plus de quartier, et la défense devenant de plus en plus énergique, l’hôpital militaire, situé à l’entrée de la ville, regorgea de blessés, que soignaient avec un égal dévoûment les médecins militaires turcs et autrichiens. Le général Philippovitch, qui attendait près de cet hôpital, espérant par un moyen violent faire cesser la résistance, ordonna de lancer trois obus incendiaires sur différens points, et, dans cette ville toute en bois, trois foyers de destruction s’allumèrent aussitôt. Le grésillement de l’incendie et le bruit des munitions renfermées dans les maisons et qui sautaient, ajoutèrent bientôt à l’horreur de la situation, mais amenèrent le résultat désiré; peu à peu la lutte diminua d’intensité, et, vers cinq heures, le général Philippovitch put faire son entrée dans la ville et prendre possession du Konak ou palais du gouvernement. Il s’avança à la tête de son état-major entre deux haies formées par l’infanterie; toute la population chrétienne et juive, dans ses plus beaux atours de fête, se pressait sur le passage du cortège; les soldats poussaient des hurrahs, les tambours battaient aux champs et le canon de la citadelle saluait de cent et un coups de canon l’étendard austro-hongrois hissé sur la crête des bastions. Devant l’église grecque, décorée de riches draperies et dont les cloches sonnaient à toute volée, le clergé était réuni; il en était de même devant la petite chapelle catholique, où se tenaient le curé, ses deux vicaires et les sœurs grises d’Agram; tous les habitans paisibles saluaient dans l’entrée du général autrichien la fin du régime de terreur sous lequel ils vivaient depuis plusieurs longues semaines, par suite de la résistance désespérée d’insurgés fanatiques.


II.

... On prétend que Serajewo doit sa première origine à une exploitation minière tentée par les Ragusains sur la partie du mont Trebeviich appelée Jagodina et où s’élève aujourd’hui la citadelle[1]. Les rois bosniaques y auraient ensuite construit un château dans lequel se seraient réfugiés, vers 123<i et après la destruction de Milecevo par les hérétiques patarins, les évêques catholiques de la province. Malgré cette circonstance, il est probable que ce ne fut

  1. Engel, Geschichte des Freistaates Ragusa.