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il y a loin, comme on le voit. Tout ce que j’ai vu pendant mon séjour me porte à penser, au contraire, qu’elles vivent plus retirées, plus farouches que jamais depuis l’occupation. Quand nous en rencontrions dans la rue, notre costume civil étranger et nos allures de voyageurs (rara avis! car, d’après le directeur de la poste, nous étions les premiers touristes que l’on voyait à Serajewo depuis l’arrivée de l’armée), excitaient d’abord leur curiosité, et elles nous regardaient avec attention; mais dès que nous tournions, même sans aucune affectation, la tête vers elles, elles s’écartaient de la manière la moins obligeante, comme des biches effarouchées.

Les costumes des grecs orthodoxes et des Israélites se ressemblent beaucoup; ils portent le plus souvent le fez, et leurs vêtemens comme ceux des Tsiganes, sont en général d’une couleur plus sombre que ceux des musulmans; leur jaquette est presque toujours bleue et leurs caleçons noirs sont retenus par une large écharpe de soie de couleur plus claire. A certains jours de fête, ils passent par dessus une grande houppelande qui leur descend jusqu’à la cheville. Le type des grecs orthodoxes, au nombre d’environ 6,000, ne se distingue pas de celui des autres jougo-slaves ; mais les israélites qui, comme je l’ai dit plus haut, sont d’origine espagnole, ont une physionomie toute différente. On sait que les juifs d’Espagne et de Portugal ont toujours fait classe à part parmi les descendans d’Israël; dans certains pays où. ils s’étaient réfugiés après avoir été chassés de la Péninsule, et notamment en Hollande, ils avaient des synagogues particulières, et leurs cérémonies différaient même assez notablement de celles de leurs coreligionnaires. L’origine de ces prétentions est la croyance dans laquelle ils sont d’être issus de la tribu de Juda, dont les principales familles seraient venues en Espagne au temps de la captivité de Babylone. On voit que leurs pérégrinations en Europe dateraient de loin.

Quoi qu’il en soit, les israélites de Serajewo ont un caractère physique tout particulier ; beaucoup sont blonds et ils sont très facilement reconnaissables au milieu de la population, ils ne sont guère que deux mille, mais c’est la portion la plus riche de la ville; comme partout, ils sont banquiers ou plutôt usuriers, et servent d’interprètes et de bailleurs de fonds aux autorités turques, trop souvent même d’entremetteurs pour les plaisirs des grands begs. Ils sont du reste, bien que très intolérans en matière religieuse, de nature pacifique tt rangée, et ne vont jamais en prison que pour dettes.

La différence entre la toilette de ville et celle d’intérieur existe chez les juives comme chez les musulmanes. La plupart, et souvent les plus âgées, portent au dehors des vêtemens rouge cerise sans ornemens avec des voiles blancs qui leur tombent aux genoux, mais qui laissent leur visage découvert. Les jeunes filles mettent chez