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de leurs excursions, caracolent un peu partout, ou le kaiserlick, aussi flâneur que nos petits soldats, traîne ses guêtres à travers les rues en cherchant aventure et où le touriste rentre chez lui et se prépare à aller dans quelque maison hospitalière dîner, se reposer par quelque longue causerie et augmenter ainsi son bagage d’observations, — le seul dont l’encombrement n’est jamais à craindre en voyage.

C’est dans une de ces agréables soirées que Mme W.., qui parle le bosniaque aussi bien que le russe, sa langue maternelle, me proposa de m’accompagner le lendemain au bazar. On devine avec quel indiscret empressement j’acceptai une offre si séduisante, qui me permettait de faire, avec un guide aussi aimable que sûr, une foule d’études de mœurs absolument interdites au simple passant.


IV.

Tous les jours ne sont pas bons pour visiter les bazars de Serajewo. En effet, le vendredi, jour férié des musulmans, beaucoup de chrétiens et de juifs les imitent avec empressement ; le samedi, les mahométans rendent la politesse aux juifs, qui se joignent à eux le dimanche pour chômer le repos chrétien, de sorte qu’il n’y a guère que quatre jours d’activité commerciale. Les gens disposés à prendre tout du beau côté prétendent voir dans cet échange de courtoisies une disposition de bienveillance mutuelle amenée, en dépit des haines séculaires, par l’unité de la race; les autres, — et j’avoue que je suis du nombre, — assurent qu’il ne faut attribuer cette circonstance curieuse qu’à la paresse et à l’apathie habituelle aux peuples de l’Orient, pour qui le temps n’est rien et le travail peu de chose. Quoi qu’il en soit de l’origine de cette coutume, elle existe, et si on ajoute aux trois jours fériés hebdomadaires les nombreuses fêtes chômées des deux cultes chrétiens, ou voit que les habitans de Serajewo sont dans l’impossibilité de faire le lundi sous peine de ne plus trouver dans la semaine un jour de travail... pour se reposer de ne rien faire. Dans tous les cas, ce ne sont pas eux qui, comme le savetier de la fable, songeraient à se plaindre de ce que l’iman, le rabbin, le pope ou le curé


De quelque nouveau saint charge toujours son prône.


La capitale de la Bosnie a deux bazars, ou plutôt deux endroits consacrés au commerce de détail. Il y a d’abord la salle de vente (bezestan, de bez, toile, linge), puis la halle de la friperie ou du bric-à-brac. Toutes deux appartiennent à des communautés religieuses qui louent les boutiques aux marchands. Ces boutiques, toutes en bois, sont adossées aux murs d’un cloître, autour d’un vaste préau