il était, l’été, dévoré par les insectes que l’on avait soin d’attirer en enduisant son corps de miel, et l’hiver, littéralement gelé jusqu’aux os. D’autres fois, on l’enfermait, sans nourriture, dans une cabane où on l’inondait d’eau froide jusqu’à ce qu’il criât miséricorde ; ou bien encore, on l’enfumait au-dessus d’un feu de bois vert, ou on l’enterrait jusqu’au cou à la porte de sa maisonnette jusqu’à ce qu’il consentit à payer. On voit que, si le musulman n’avait pas tout à fait contre le chrétien le droit de vie ou de mort, il avait au moins celui de torture à peu près illimité. Croyant mettre fin à ces horreurs, le règlement de 1859 décide que, dorénavant et sous quelque prétexte que ce soit, aucun beg ne pourra plus donner en régie une partie quelconque de ses propriétés. — 6° Règlement des contestations entre propriétaires et fermiers. Jusqu’au règlement de 1859, les kmètes étaient presque toujours, en cas de difficultés avec leurs propriétaires, victimes de l’arbitraire des tribunaux locaux, soumis la plupart du temps à l’influence des riches aghas ou begs. L’appel même à la cour de medjliss, la seule devant laquelle fût admis le témoignage des chrétiens, était absolument dérisoire, car ce témoignage, fût-il apporté par vingt chrétiens, était annulé, en fait, par le dire d’un seul musulman. Le règlement décide donc que, dorénavant, toutes les difficultés de ce genre seront soumises à quatre arbitres désignés par les parties et qui, en cas de désaccord, en nommeront un cinquième pour les départager, et que les tribunaux de district ne seront appelés à intervenir que pour enregistrer la sentence prononcée et veiller à ce qu’elle soit impartialement exécutée. 7° Enfin, le règlement ordonne que tous les contrats précédemment passés soient confirmés, dans toutes les dispositions qui ne lui sont pas contraires, et qu’à l’avenir, prohibant toutes conventions verbales, tous les contrats entre propriétaires et fermiers seront faits par écrit et passés sans aucuns frais devant l’autorité locale, et signés en double expédition par les deux contractans, qui en garderont chacun une copie légalisée.
Comme on le voit, il y avait dans le règlement de 1859 les élémens d’une excellente réforme... sur le papier. Malheureusement, elle resta sur le papier ; les aghas profitèrent des clauses qui leur étaient favorables et continuèrent à exiger de leurs kmètes impuissans à se défendre les mêmes redevances que par le passé. La Porte aurait eu un moyen de remédier d’un seul coup à tous les abus : c’était de supprimer purement et simplement le droit de tretina, la corvée et le reste, et de laisser en présence pour un libre contrat l’agha et le fermier ; mais cela eût été bien simple et bien libéral pour des Turcs ; d’ailleurs la dîme a chez eux un caractère religieux; et, en attendant, le raïa continuait à être indignement exploité par son seigneur et maître.