Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Laissons, laissons l’histoire de demain mettre chacun à son rang, faire la part du puissant tribun et assurer aussi à cet autre mort, au général Chanzy, la place qu’il avait déjà conquise dans l’estime du pays. Pour celui-ci, à vrai dire, tout s’est passé plus simplement à Châlons, et cependant si M. Gambetta, pour beaucoup de Français, était un grand espoir, le général Chanzy était certainement, lui aussi, une grande et sérieuse ressource sur laquelle le pays croyait pouvoir compter pour les momens difficiles. Depuis quelque temps déjà, le commandant du 6e corps devenait de plus en plus l’objet de la confiance de l’opinion, et cette confiance, il la méritait par son passé de soldat, par son caractère, par la mesure qu’il mettait dans toutes ses actions, par l’attitude qu’il avait su prendre tour à tour au parlement, au gouvernement-général de l’Algérie, à l’ambassade de Saint-Pétersbourg, dans ce commandement où la mort vient de le frapper.

C’était tout à la fois un soldat et un politique. Comme chef militaire, Chanzy s’était révélé en 1870, à cette armée de la Loire où il arrivait pour combattre à Coulmiers. Débarqué la veille de l’Afrique, où il avait été laissé au début de la guerre, nommé au commandement d’une division, puis du 16e corps, il ne tardait pas à avoir de terribles occasions de montrer la fermeté de son âme. Celui qui, au lendemain du second désastre d’Orléans, avec des soldats démoralisés par la défaite, avec des divisions débandées, trouvait le moyen de ramasser ses forces, de s’arrêter sur les lignes de Josne et de tenir tête pendant cinq jours à un ennemi grossissant d’heure en heure, irrité par la résistance, celui-là était certes un intrépide capitaine, au cœur fermement trempé. Celui qui, obligé de battre en retraite après cinq jours de luttes sur les lignes de Josne, ne se retirait que pas à pas, gardant la liberté de ses mouvemens, se battant à Vendôme, se battant encore au Mans avec l’amiral Jauréguiberry comme lieutenant, celui-là était assurément un chef habile. Il pouvait être malheureux comme bien d’autres, il ne se laissait point ébranler. Après chaque affaire, il retrouvait toute sa vigueur pour rallier ses soldats en attendant de les ramener au combat. Livré à peu près à lui-même, comptant peu avec les ordres de Tours ou de Bordeaux, il suivait sa propre inspiration, et c’est pendant cette effroyable guerre le mérite du général Chanzy de ne s’être jamais laissé déconcerter, d’avoir opposé à tous les dangers une virilité simple et sans faste, d’avoir gardé jusqu’au bout, même à la paix, l’ardeur de la résistance. La politique pouvait conseiller la paix ; le soldat croyait de son devoir de ne pas avouer l’impossibilité de la guerre.

L’esprit militaire, le général Chanzy l’avait toujours gardé intact en lui dans toutes les diversions de sa vie publique, et lorsqu’après bien des années il était placé l’an dernier à la tête du 6e corps, il retrouvait tout son feu, son habile et intelligente activité pour organiser et assurer la défense de la frontière. Il se mêlait peu aux débats publics du sénat.