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en son esprit, s’avisa enfin qu’il serait mieux qu’Ali-Pacha ne fût plus de ce monde ; et, ô merveille ! la nuit, sur les deux heures, on entendit le bruit d’un coup de feu et on apporta à Omer-Pacha la nouvelle que, par mégarde, un fusil était parti, et, miracle ! que la balle avait passé par la tête d’Ali-Pacha. Ainsi mourut Ali-Pacha Rizvanbegovitch, le vingtième jour de mars 1851. »

Avec cet abominable tyran, — qui, mieux inspiré, eût pu, par son intelligence, devenir le civilisateur de son pays, — finit la féodalité militaire des provinces slaves de Turquie.

… A partir du pont de la Bouna, la route quitte les bords du fleuve Narenta pour gravir et traverser le plateau dénudé et pierreux de Domanovitch, qui, il y a cinquante ans à peine, était couvert d’une magnifique forêt de chênes. En bas de ce plateau et sur le bord du fleuve, se trouve le couvent orthodoxe de Gétomislitch, construit en 1585 par Milo Radovitch, riche seigneur d’Herzégovine, et qui a eu le bonheur d’échapper, depuis ce temps, à tous les ravages qui ont désolé ce malheureux pays. Une partie de la famille Radovitch est maintenant établie en Russie, une autre s’est convertie à l’islamisme et possède de grands biens en Herzégovine.

En dehors de Gétomislitch, les grecs-unis ont encore en Herzégovine les monastères de Trebigné, Zavala, Kossierevo et Piva. Il y en avait autrefois un bien plus grand nombre parmi lesquels on citait Petrov, Dougi, Dobricevo, Milocevo, Troïtsa, Davalja, et Névésigné.

Bientôt la route laisse sur la droite le petit village turc de Poldchitel (ou Seid Esselam), célèbre autrefois sous le nom de Citluk par le rôle que sa forteresse a joué dans les luttes des Turcs et des Vénitiens au XVIIe et au XVIIIe siècles. Les ruines de ce château existent encore et portent la trace des remaniemens que lui firent subir les Vénitiens, auxquels il appartint momentanément après la paix de Carlowitch, en 1699.

Puis, on aperçoit sur son promontoire Gabela ou Gabella, dont le nom slave Gabell (fourchette) indique la situation au confluent des marécages de la Krupa et de la Narenta. Gabella, qui occupe l’emplacement de l’antique Bistuæ veteres[1], fut aussi au XVIIe siècle une importante place forte ; elle fut prise par les Vénitiens en 1694, année où ils poussèrent leur conquête jusqu’à Mostar, et elle leur resta depuis ; c’était leur place frontière sur la Narenta et elle s’appuyait sur de nombreuses tours isolées qui commandaient le

  1. Pour compléter la liste des localités antiques occupées par les Romains en Herzégovine, je citerai, outre celles que j’ai déjà nommées : Bitché (Bistuœ novœ), Duvno (Delminium), Trébigné (Terbunium), Goransi (ad Matrices) et Vrdi (Verdœi).