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démocratie, contre la société, la coalition du vice, de l’ignorance et de la misère.

On peut à peine appeler une politique cette sagesse toute négative. Elle n’est que l’abstention des fautes les plus grossières. Pour la pratiquer il suffit de n’être pas contre le bon sens, et c’est à son service qu’il semblerait facile de réaliser cette unanimité si chère aux républicains. C’est contre elle, au contraire, que l’unanimité s’est faite : c’est quand il s’est agi d’ouvrir le trésor, de bouleverser la hiérarchie, de persécuter les consciences, que les partis ont sincèrement abjuré leurs divisions et confondu leurs drapeaux.

Sans doute, à l’heure présente, le résultat apparaît. Mais la vue du danger donne-t-elle toujours du courage ? Restreindre les dépenses, c’est enlever, malgré des promesses solennelles, aux départemens, aux cités, aux communes, les travaux, les subventions, les ressources de tout genre auxquelles ils sont accoutumés ; restaurer le pouvoir politique sur ses bases, c’est enlever aux influences parlementaires la dépouille immense des fonctions publiques ; respecter les consciences, c’est enlever aux sectes la dépouille de « l’ennemi. » Où les députés trouveraient-ils le courage de vouloir à la fois contre leur intérêt et contre leur passion ? Lesquels, parmi ceux qui ont occupé le pouvoir, n’ont pas mis leur honneur particulier à augmenter chacun l’anarchie du gouvernement et le gaspillage du trésor ? Tel restreindra-t-il les travaux publics, son plan ? tel les prodigalités. de l’enseignement, son œuvre ? tous enfin apaiseront-ils la guerre religieuse, leur ressource commune ? Non ; si visible que soit la nécessité d’un changement, ce n’est pas de la chambre qu’il faut attendre le remède. Il lui manque deux choses : une majorité pour y souscrire, un homme même pour le proposer.

Perdre tout espoir dans la chambre, c’est presque perdre l’espoir dans le gouvernement républicain, car elle semble la seule force vivante. La constitution a cependant créé deux autres pouvoirs. Qu’y a-t-il à attendre de la présidence et du sénat ?

Même dans les monarchies où la défiance des peuples a le plus étroitement tracé les prérogatives de la couronne, c’est une grande autorité que celle du chef de l’état. Les constitutions limitent ses pouvoirs, mais non son influence : la fonction est ce que la fait le titulaire. Plus d’un, par la persistance calme, mesurée d’une volonté sûre d’elle-même, a vaincu doucement tout le monde. A plus forte raison, dans un état républicain, un chef choisi pour ses qualités politiques, et dont l’élection élève et augmente le prestige, peut-il sans usurpation mettre au service public son expérience, manifester son dévoûment par ses conseils et, pour faire obstacle au mal