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siècles, et toujours méconnue par l’heure présente, que l’injuste n’est jamais l’utile : ils ont été courageux et sages. Mais la sagesse qui ne convainc pas irrite, et rien n’est injurieux comme le courage à la servilité. C’est seulement contre ceux qui lui demandaient d’avoir une volonté propre que le sénat s’est montré capable de volonté. Ce n’était pas assez de fuir la contagion de leurs idées ; il a évité jusqu’au contact de leurs personnes, et la politique a eu ses excommuniés comme les connut l’antique foi. Si tels sont les condamnés, que dire de ceux qui les condamnent et qu’espérer de l’avenir si les votes des hommes portaient toujours témoignage de leurs pensées ?

Et pourtant quiconque connaît les deux chambres, si unies par les votes, ne peut supposer qu’elles pensent de même, ni comprendre, si l’une obéit à l’autre, que l’assemblée en tutelle soit le sénat. La plus grande diversité entre elles tient à la valeur du personnel, et si toutes deux représentent le même territoire, elles ne semblent pas sorties de la même société. Au sénat, il n’y a guère d’hommes qui n’aient vieilli au service de l’état. La plupart de ceux qui ont dirigé sa politique, les plus éminens de ceux qui l’ont représentée au dehors, des chefs des grands services publics, y siègent et réunissent l’expérience de plusieurs gouvernemens. Les plus dépourvus de titres ont traversé plusieurs assemblées sans se perdre, ce qui prouve de la sagacité et de la mesure, car, à la longue, toute exagération devient impopulaire. Les plus étrangers à la politique sont les plus illustres ; le sénat lui-même les prend à la science, aux lettres, à l’armée et se couronne de rayons empruntés à toutes nos gloires. On ne vit pas impunément au milieu de telles clartés. L’habitude des affaires rend inaccessible aux utopies, apte à prévoir les suites naturelles des actes, hostile à tout désordre. La culture intellectuelle rend insupportable ce qui est grossier dans la pensée, vulgaire dans les sentimens, violent et hypocrite surtout, car ce serait une monstruosité que l’esprit s’élevât sans élever le cœur. Comment donc ces administrateurs ont-ils adhéré à des mesures qui perdent l’administration, ces financiers à des dépenses qui mènent au déficit, ces magistrats à la ruine de la justice, ces soldats à des expériences funestes pour l’armée, ces diplomates aux fautes de notre action extérieure, ces personnages parlementaires et ces anciens ministres à une politique en contradiction avec l’œuvre honorable de leur vie, tous Français et républicains, à un régime également funeste pour la république et la France ?

Cette défaillance ne les accuse pas seuls : eux aussi portent le poids d’une faute originelle qui n’était pas la leur. Au 16 mai, le sénat monarchique, ligué avec la présidence, avait terminé