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et là la chambre. Qu’elle regarde : au sénat, ces inamovibles que le parti républicain choisit parmi les plus illustres, leurs compagnons de luttes dans l’assemblée nationale qui sont venus les rejoindre, les fondateurs du régime actuel, ses amis de la première heure, de toutes les heures, ceux qui ont souffert ; dans la chambre, des mandataires pour la plupart nés d’hier, ou, si vieux soient-ils, assez obscurs pour demeurer toujours des hommes nouveaux, liés à la république, non par ce qu’ils lui ont donné, mais par ce qu’ils en ont reçu, dont la constance n’a été mise à l’épreuve d’aucun revers et dont l’œuvre unique a été de compromettre en quelques années une situation incomparable. Laquelle des assemblées doit craindre, si le peuple, comme il arrive d’ordinaire, juge les doctrines sur le visage de ceux qui les représentent ?

Et s’il prête l’oreille aux idées elles-mêmes ? Quoi ! l’inégalité, l’arbitraire et les privilèges, les dilapidations, voilà ce qu’a toujours repoussé la France ; des lois égales, un pouvoir, modéré, l’économie dans les finances, voilà les bienfaits qu’elle a poursuivis à travers toute son histoire, proclamés dans sa révolution, et ce sont ces espoirs dont elle détournerait la tête parce qu’ils lui seraient offerts par les meilleurs et les plus éprouvés de ses serviteurs ! Et elle se donnerait à ce qu’elle déteste, parce que les joies du désordre lui seraient promises par les plus obscurs et les plus incapables de ses favoris !

Ceux qui le disent ont-ils, avant de calomnier la France, mesuré les forces qu’une telle lutte mettrait en conflit ?

La grande préoccupation de tous les régimes dignes de durer a été de ne pas gouverner contre les intelligences. De tout temps, les intelligences ont été dirigées par cette bourgeoisie que son éducation fait la plus apte à comprendre les intérêts publics, son goût la plus disposée à s’en occuper, à laquelle l’ancien régime dut sa gloire la plus durable, le régime nouveau, ses principes et ses jours heureux. Sous des noms divers, elle est demeurée la classe moyenne, même depuis la chute de la noblesse, par son éloignement de tout excès ; dirigeante, même depuis le suffrage universel, parce qu’elle est seule apte à l’éclairer ; libérale enfin d’idées comme de professions. Nulle autre n’a plus efficacement voulu, plus sincèrement accepté les institutions actuelles. Qu’on cherche ses représentans parmi ceux qui aujourd’hui dirigent ou approuvent. Elle a disparu du gouvernement. A-t-elle disparu du pays ? Elle y est plus nombreuse à mesure que se développent la richesse et l’instruction. S’est-elle retirée dans l’indifférence comme dans un repos ? Elle est inquiète, irritée, à peu près unanime à condamner les fautes commises, à en prévoir les suites. Pourquoi se tient-elle à l’écart, ne brigue-t-elle