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au pays lui-même le secret de la stabilité. Ce secret est révélé au premier consul : il met sa gloire à méconnaître les frontières des partis comme celles des royaumes, et à trouver partout les serviteurs du pays, et il fait, malgré son despotisme à l’intérieur, un régime si national qu’il faut pour l’abattre deux retours offensifs de l’Europe. Et quand reparut la famille de nos rois, ceux qui avaient partagé sa proscription confisquèrent d’abord sa fortune ; mais ils se montrèrent si étrangers à la nation, si dédaigneux de son esprit, si indifférens à ses besoins, que le roi lui-même fut contraint de dissoudre la chambre introuvable et dut écarter ses amis du trône qu’ils ébranlaient. Tout se trouva raffermi le jour où les affaires, furent remises à de nouveaux venus, dédaignés de la cour, qui n’avaient pas été à Coblentz, qu’on n’avait pas vus à Gand, dont plus d’un avait servi l’usurpateur, mais dont le cœur ni les services n’avaient jamais déserté la France, et qui donnèrent à l’antique royauté cette belle gloire de couchant qui fut la restauration.

La loi qui s’est imposée à tous les régimes s’impose à son tour à la république. Elle aussi a sa chambre introuvable, ses « émigrés » et ses « voltigeurs de 1815, » heureuse s’ils ne pesaient sur elle que depuis une année ! Mais plus a été longue leur domination, plus il est temps de leur enlever l’autorité dont ils abusent, et de confier la république, si l’on veut assurer son existence, à des hommes qui l’aiment moins, mais l’aiment mieux.

L’heure présente a été préparée pour cette œuvre. Hier peut-être il eût été trop tôt pour la sagesse. Un homme dominait la France : elle avait commencé par aimer le serviteur de sa volonté, et fini par n’avoir plus de volonté devant lui. Il suffisait qu’il s’interposât entre la vérité et le pays pour couvrir le pays de son ombre et faire obscure la raison. Or, cet homme était celui qui depuis la chute de l’empire avait suscité, groupé, organisé, conduit à l’assaut contre le pouvoir les forces révolutionnaires du parti républicain et leur avait assigné leurs places au gouvernement comme un général donne des quartiers d’hiver à ses troupes dans les contrées fertiles qu’elles ont su conquérir. Gambetta avait trop d’intelligence pour croire qu’elles y dussent demeurer toujours ni longtemps. Bien que, dans le régime rêvé par lui et où lui seul était presque tout, la valeur des autres eût peu d’importance, il reconnaissait que certaines natures ne s’accommodent d’aucun ordre politique, et il ne considérait pas les compagnons de sa première fortune comme bons même à obéir dans un état régulier. Il le montra par l’acte le plus critiqué, le moins compris et pourtant le plus clair et le seul grand du grand ministère : c’est pour demander une loi électorale qu’il parut aux affaires, et pour ne l’avoir pas obtenue qu’il les abandonna. Le crut-on, lui si peu épris