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chroniqueurs ont nommé « le mal des croisades, » quoiqu’il soit réputé nous être venu d’Amérique. François Ier croyait-il à cette conjecture ? Je le pense ; car, durant toute sa maladie, il eut les yeux tournés vers l’Orient et ne voulait que des médecins arabes. Il est vrai que l’Orient, pays des mystères et des sortilèges, avait aussi bien des raisons d’attirer et de séduire l’imagination d’un homme qui se sentait atteint dans les moelles et désespérait de la science. « Je ne me suis pas assez défié de la payse ! » dit une estampe de Charlet qui nous représente un pauvre diable de conscrit à l’hôpital et philosophant d’un air piteux vis-à-vis d’un pot de tisane. Lui non plus, ce roi de France, ne s’était pas assez défié. Incontinent et brutal dans ses appétits, en chasse, s’il avait soif, il s’abreuvait à l’eau des mares et n’était en amour ni plus difficile ni plus regardant. « Le plus pauvre des gentilshommes, disait-il, peut toujours héberger un grand prince, pourvu qu’il ait à lui offrir une jolie femme, un bon cheval et un bon chien. » Chez le bourgeois et le vilain il se contentait de la femme, et quand on ne l’offrait pas il la prenait, d’où lui en advint mal de mort.

Plusieurs fois dans ses équestres déambulations à travers Paris, il avait remarqué la Ferronnière sur la porte de sa boutique. C’était une jeune et sévère beauté. Regard étrange, en retraite à l’intérieur sous de longs cils, bouche petite et froide, des formes qui se dessinent en hauteur plutôt qu’en rondeur, tout cela devait composer un ensemble à maintenir les galans à distance. À ce compte même et s’il fallait dire le fond de ma pensée, l’admirable portrait peint par Vinci ne m’inspirerait que des doutes sur l’authenticité de l’anecdote ; des amours dont un roi faisait ainsi consacrer le souvenir par le plus illustre des artistes de son temps n’ont pu être ni aussi passagères ni aussi pernicieuses qu’on le raconte. Cependant la chronique existe ; elle existe sous les deux espèces, farce et tragédie, et nous y lisons à livre ouvert le sensualisme de François Ier dans ses conséquences horribles pour sa victime comme pour lui-même. Belle, mais honnête, la Ferronnière résista, et ses refus désespéraient le roi. Si les sultans d’Asie se plaisent aux femmes grasses, les libertins de nos climats préfèrent la vigueur des formes, et la Ferronnière était, paraît-il, au moral comme au physique, une beauté de marbre. Un grand monarque violemment épris d’une femme n’a pas besoin d’être aimé pour la posséder : ainsi parlèrent au roi les courtisans, et, d’autre part, ils tentèrent de débaucher la prude bourgeoise, qui en conçut une indignation telle qu’une mignonne veine bleue qu’elle avait au front se rompit ; cruel dommage réparé dès le lendemain grâce à l’invention de ce gentil bandeau à « la Ferronnière »