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est donc venu de juger, sous l’empire de la législation nouvelle, comment fonctionne l’institution du dépôt légal.

Si on ne s’attache qu’au nombre total des ouvrages qui entrent chaque année à la Bibliothèque, on peut se récrier sur la richesse croissante de notre grande collection. Environ vingt-neuf mille volumes ou opuscules en 1878, vingt-cinq mille en 1879, vingt mille en 1880, et 100,000 journaux par an sont des chiffres qui effraient, et on est tenté de se plaindre de l’encombrement bien plus que des lacunes. Mais ne nous arrêtons pas à la quantité et examinons la qualité du dépôt effectué. Quand l’imprimeur a déposé deux exemplaires de ce qui est sorti de ses presses, il a strictement accompli l’obligation légale. La loi ne s’occupe pas du livre, ne parle pas de l’ouvrage tel qu’il est mis en vente, mais de l’imprimé. L’imprimeur, au moment où il envoie au brocheur les feuilles tirées, peut donc faire porter, au ministère de l’intérieur ou à la préfecture deux séries de feuilles détachées sans que, la loi à la main, l’autorité puisse le forcer à une autre forme de dépôt. En fait, c’est ce qui arrive en plus d’un cas. Ce n’est pas l’imprimeur qui est coupable : en mettant le dépôt à sa charge, la loi a manqué son but : elle n’a pas atteint le livre, mais seulement un des élémens qui servent à le former, et à l’heure où ils ne sont pas encore réunis pour constituer l’ouvrage complet. De cette erreur de la loi viennent tous les désordres.

Le dépôt du livre en feuilles avant qu’elles soient brochées n’est pas le plus grave inconvénient. Il s’est introduit récemment dans la librairie divers procédés dont il faut tenir compte. L’auteur ou l’éditeur fait tirer en deux villes différentes les feuilles d’un même ouvrage, soit pour réduire le prix de la main-d’œuvre, soit afin d’établir un contrôle du nombre des exemplaires ; le dépôt légal se fait alors par fractions : la sous-préfecture de Meaux recevra vingt feuilles d’un livre, et celle de Nogent-le-Rotrou en recevra cinq destinées à compléter le même ouvrage, il est facile d’imaginer ce que deviennent dans les bureaux ces fragmens, qui semblent autant de feuilles incomplètes et sans valeur. Qu’on veuille bien remarquer que le titre courant, placé, quand il existe, en haut des pages, ne suffit pas à les rattacher entre elles, que rien n’indique le nom de l’auteur, et que, si elles sont séparées un instant de la note qu’un employé attentif a dû rédiger en recevant le dépôt, elles sont à jamais égarées.

Ce qui se passe pour les feuilles d’un ouvrage se produit plus souvent encore pour les titres. Les papiers de couleur usités pour les couvertures forment la spécialité de certaines imprimeries. Avec la couverture s’impriment la page de garde et le faux titre. L’imprimeur dépose dans le département où il est établi un grand nombre de couvertures, de gardes et de titres que la préfecture envoie par