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de l’illustre doyen de l’Institut, M. Chevreul, est arrivé à la Bibliothèque sans que les couleurs eussent donné aux planches leur vie et leur sens.

Le cabinet des estampes, qui est encombré de planches qui devraient appartenir aux imprimés, ne reçoit pas plus régulièrement ce qui lui est dû. Les imprimeurs qui tirent les plus précieuses gravures lui adressent des exemplaires de rebut, des feuilles tachées d’huile ou maculées d’encre dont ne voudrait pas le plus vulgaire acheteur. Si les artistes ne mettaient leur amour-propre à envoyer eux-mêmes, dans l’intérêt de l’art et de leur nom, un exemplaire de leurs œuvres au savant qui est chargé de la garde de nos collections nationales, le cabinet des estampes verrait s’accumuler des collections indignes de l’art. Il faut à tout instant veiller à ce que le dépôt ne soit pas une source d’erreurs. Des reproductions de vitraux formant une des plus belles publications sur l’histoire de l’art, déposées en noir, ont dû être récemment mises en couleur à la main par les soins de la Bibliothèque, qui a fait copier à ses frais un exemplaire qui est dans le commerce. L’année dernière, il en a été de même à l’égard de planches consacrées à la reproduction de miniatures.

A côté des négligences, il y a des omissions volontaires. On cite des imprimeurs qui se refusent à opérer le dépôt[1]. Tout récemment, la Bibliothèque nationale vient de déployer les plus grands efforts pour faire entrer dans ses collections l’édition des œuvres complètes d’un des membres actuels de l’Académie française. Elle n’a pu obtenir le tome Ier que sur papier d’épreuves, tandis que l’édition entière a été tirée sur papier de Hollande.

Comment réprimer ces fraudes, alors que l’état lui-même n’observe pas la loi du dépôt légal ? Au ministère de l’intérieur se publie une collection précieuse, l’analyse quotidienne de la presse de Paris, des départemens et de l’étranger. Autographiée avec soin, elle constitue la table unique de cet amas de journaux qui fera le désespoir des historiens de l’avenir. Ce travail considérable n’est pas déposé. Il en est de même de tout document imprimé par l’Imprimerie nationale[2], lorsque le ministère réclame le secret.

  1. Il faut mettre en regard de ce tableau des violations de la loi la conduite de certains éditeurs qui essaient à leurs frais de porter remède à ce désordre. La maison Hachette dépose spontanément à la Bibliothèque un exemplaire de toutes ses publications.
  2. Autrefois l’Imprimerie nationale ne se soumettait pas au dépôt légal. C’est ainsi que des documens uniques ont péri, en mai 1871, dans l’incendie du Conseil d’état et de la Cour des comptes. Depuis treize ans, tout ce qui n’est pas considéré comme secret est déposé.