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la répression dominait tout et devait régler la matière. Tout autre est l’intérêt de nos bibliothèques publiques. Le lecteur, le savant a besoin de consulter le livre que ses ressources ne lui permettent pas d’acheter. L’état, en instituant des collections ouvertes à tous les érudits, entend mettre à leur portée les ouvrages qui sont dans le commerce sous leur forme la plus parfaite. Qu’importe un délai de quelques jours ou de quelques semaines ? Ce qui est nécessaire, c’est que le livre soit en aussi bon état que l’acheteur pourrait l’obtenir. S’il y a une édition de luxe, s’il existe des exemplaires de choix avec des planches plus parfaites, tirées sur meilleur papier, comprenant des additions plus étendues, c’est un volume de ce type que l’état doit fournir aux lecteurs de sa Bibliothèque. Où se trouvent ces exemplaires achevés ? Chez celui qui seul possède le livre orné de ce que les procédés les plus perfectionnés de l’industrie au service de l’art ajoutent de valeur à l’impression, chez l’éditeur, et non chez l’imprimeur.

L’unique réforme à accomplir serait donc de demander un seul exemplaire à l’imprimeur comme contrôle, et de faire peser l’obligation du dépôt sur l’éditeur, désormais tenu de fournir à l’état deux exemplaires dans les meilleures conditions.

Tout livre, toute gravure, toute publication portant un nom d’éditeur français serait de la sorte assujetti au dépôt. Ainsi disparaîtrait un singulier abus qui consiste à faire tirer à l’étranger des épreuves d’une planche ou d’un cliché pour éviter le dépôt des exemplaires. Certains éditeurs de Paris sont parvenus de la sorte à soustraire leurs plus belles planches à nos collections. Il est bon qu’un tel subterfuge soit ainsi déjoué.

En même temps, si aucun nom d’éditeur n’était inscrit sur le livre, comme il arrive pour les tirages à part, qui échappent trop souvent au dépôt[1], l’auteur serait responsable. Si l’ouvrage sans nom d’éditeur était anonyme, l’imprimeur serait tenu de déposer les trois exemplaires.

La sanction pénale serait modifiée : l’amende ne consisterait plus en une somme arbitrairement fixée, mais elle représenterait la valeur de trois exemplaires que le ministère de l’instruction publique achèterait aux dépens de l’éditeur, et cette obligation serait prescrite par une année.

À ces réformes s’ajouterait, par une suite naturelle, la publication plus complète de la Bibliographie de la France, qui est

  1. Sur six ouvrages d’un des plus savans correspondans de l’Institut, M. Tamizey de Larroque, publiés comme tirage à part, en 1881, avec nom d’éditeur, un seul est parvenu par le dépôt légal à la Bibliothèque nationale.