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caractéristique ; mais il a rapporté de ses voyages dans le monde latin des délicatesses littéraires qui tempèrent agréablement son originalité et une connaissance de ce qui n’est pas l’Amérique qui lui permet de juger parfois avec une fine ironie les choses de son pays. Il met en scène ses compatriotes sans les flatter, nous présentant, rassemblés dans une intrigue toujours intéressante les variétés si nombreuses du genre, depuis l’aristocrate de Boston « qui lit régulièrement la Revue des Deux Mondes et les journaux de Londres, » jusqu’au pionnier qui recherche par goût les parties inhabitables du globe, depuis le buveur de bière qui « fait du journalisme » à la façon d’un métier et parie sur les élections politiques, comme aux courses, jusqu’au fils de famille qui devient éleveur de bestiaux en Californie, parce, qu’il lui paraît ignoble de vivre de ses revenus, sans autre but que de vivre, et parce que le travail est un devoir social auquel un lâche seul peut manquer, depuis le flirt vulgaire enfin, que nous voyons à Paris coquette et follement extravagante, pire qu’elle ne l’est à New-York, les hommes ne s’obstinant pas chez nous à la respecter malgré elle, jusqu’à ces filles fortes, indépendantes et maîtresses d’elles-mêmes, livrées à leur propre honneur et à l’unique règle de leur conscience, qui, riches, se préoccupent, au point de vue philanthropique, des obligations que fait peser sur elles une grande fortune, qui, pauvres, sont d’excellentes ménagères et dans toutes les conditions, savent « rendre la vertu piquante et la raison délicieuse. »

Les critiques de son pays pensent accorder à Howells le plus bel éloge en plaçant son « talent d’exécution » auprès de celui des romanciers français, réserve faite, bien entendu, de sa morale, qui est toujours irréprochable. Quoiqu’il soit natif de l’Ouest, Howells, transplanté par choix à Boston[1], possède à un haut degré cette qualité des vieux puritains de la Nouvelle-Angleterre, la science d’une analyse sagace, impitoyable. Il nous force à pénétrer dans les replis de l’âme de ses personnages et n’omet en les développant aucune des particularités qui soulignent une physionomie. Excellent peintre de portraits, il n’est pas moins habile dans le paysage et nous fait voir les lieux qu’il décrit, si nettement qu’on ne peut plus les oublier ; de même, pour les menus incidens de la vie commune ; il leur donne de la valeur et nous y intéresse, grâce à la fidélité avec laquelle il les reproduit : les difficultés d’argent du jeune ménage Hubbard, la lutte ingénieuse qui s’engage d’abord entre Marcia, et une gêne bravement supportée, attachent le lecteur

  1. Il s’est fixé définitivement à New-Cambridge, l’annexe littéraire par excellence de Boston.