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moscovite vint le dernier, en modeste appareil ; il fit présent d’un grand tigre vivant, enfermé dans une cage.

Après ces pompeuses représentations, Marie retrouvait avec plus de tristesse sa solitude ou l’indifférence de son époux. Le lendemain de son arrivée, invitée par le roi à l’aller voir dans son appartement, elle hésitait à se rendre à ce désir et demanda au moins l’assurance que sa présence ne serait pas importune ; sur une réponse affirmative, elle passa dans la chambre royale. — L’entrevue fut courte et de pure convenance ; les jours suivans, elle ne vit son mari qu’à l’église. Tout autour d’elle respirait la défiance ; elle sut que le secret de sa correspondance était violé et que ses lettres décachetées passaient sous les yeux du roi. Cette découverte lui inspira la pensée de tenter un appel détourné à la tendresse ou au moins à la générosité du prince qu’elle avait accepté pour maître.

En quittant Paris, elle avait emporté un chiffre qui lui permettait de correspondre avec Mazarin en toute sécurité, et avait alors promis au cardinal de s’ouvrir à lui « comme une sœur. » Pourtant, lors de son arrivée à Varsovie, elle s’était bornée à lui adresser quelques lignes banales. Huit jours plus tard, elle reprend la plume et écrit à Mazarin une lettre mi-partie en chiffres, mi-partie en clair, destinée tout autant à dissiper les préventions de son mari qu’à instruire le cardinal de ses véritables sentimens, et dont voici quelques passages contradictoires :

En chiffres : « Il est vrai que les Polonais ne sont pas les gens du monde les plus doux, mais il faut s’accommoder avec ceux avec qui on a à vivre. » En clair : « Ce pays-ci est admirable ; pour le rendre à l’égal des plus beaux de l’Europe, il ne faudrait autre chose sinon que le règne du roi présent fût de longue durée. Je trouve tout ce que vous m’avez dit de lui et encore au-delà ; il a beaucoup d’esprit et de l’agréable, paraît extrêmement bon. Vous savez que je suis naturellement timide : cela est cause que je ne l’entretiens pas trop familièrement ; cependant il est fort satisfait de mon italien ; je lui ai dit que souvent à Paris vous me recommandiez fort d’étudier cette langue et que même vous me l’aviez écrit depuis que je suis partie. » En chiffres : « L’on me donne plusieurs avis des mauvais offices qu’on me rend auprès de lui. Ces bruits me rendent quelquefois chagrine… Je ne saurais juger encore de rien bien définitivement, mais je suis bien résolue de suivre les bons conseils que vous me donnez et je vous manderai le succès qu’ils auront. J’aurais encore beaucoup de choses à vous mander, mais il m’est impossible de plus écrire[1]. »

  1. La reine au cardinal, 14 mars 1646. (Ministère des affaires étrangères.)