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verraient avec un profond déplaisir qu’elle fût l’objet d’un dédain outrageant. Le ressentiment de la France est à redouter ; il atteint sûrement, et en quelque lieu qu’ils se trouvent, les princes assez imprudens pour le provoquer. » Ces raisons suffirent-elles pour détourner Wladislas de toute mesure de rigueur ? Quoi qu’il en soit, il fut convaincu ou feignit de l’être ; après l’audience, il déclara publiquement « qu’il n’avait jamais vu femme d’un sens aussi extraordinairement rassis, d’une vivacité d’esprit si agréable et si sincère et d’une si judicieuse dextérité. » En même temps, il voulut annoncer lui-même à la reine la révocation de l’ordre d’exil dont ses compagnes avaient été frappées.

L’orage était apaisé, mais la maréchale ne considérait ce premier succès que comme un acheminement à un triomphe définitif. Reine de Pologne, Marie de Gonzague n’était pas encore la femme du roi ; la consommation du mariage devint désormais le but à atteindre et le sujet des grandes préoccupations du parti français. L’évêque d’Orange comptait sur le retour du printemps, qui ne pouvait manquer d’exercer une heureuse influence sur la santé du roi ; M. de Brégy attendait tout des charmes de Marie et déplorait la réserve tout à la fois craintive et un peu hautaine qu’elle témoignait dans ses rares entretiens avec son mari. « On dit que je devrais être un peu plus familière, écrivait-elle à ce sujet à Mazarin ; mais, au nom de Dieu, ne me condamnez pas, et songez qu’il n’y a que quinze jours que je suis ici. Je fais mon possible, mais j’espère à l’avenir faire beaucoup mieux[1]. » Elle n’ignorait pas que de secrètes influences agissaient contre ses intérêts sur l’esprit du roi, et il lui répugnait d’entrer en lutte avec elles. Deux personnages odieux, Patz et Plattenberg, s’étaient élevés des bas emplois qu’ils occupaient dans le palais à d’importantes charges de cour en se faisant les complaisans du vieux roi et les serviteurs de ses plaisirs. Quelques mois auparavant, ils avaient installé auprès de lui une jeune fille de condition médiocre, Mlle d’Eckemberg, qui avait su profiter de l’absence d’une reine pour s’emparer de l’esprit de Wladislas, et visait à se faire attribuer les prérogatives d’une maîtresse en titre. Sentant qu’un rapprochement entre les époux marquerait la fin de sa faveur, elle s’employait de tout son pouvoir à le prévenir ; c’est par elle que Mme d’Aubigny avait fait parvenir sa lâche délation. Ce fut encore la maréchale qui aida Marie à triompher des intrigues et des efforts désespérés de sa rivale ; elle vit le roi deux fois pendant la semaine sainte, et le résultat de ces conférences fut l’éloignement de Mlle d’Eckemberg ; on la maria avec un

  1. La reine au cardinal, 26 mars 1646. (Ministère des affaires étrangères.)