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écrivait-il le 1er janvier 1855, que si on nous craint. Rien ne nous serait plus utile que de faire croire à la France et à l’Angleterre que nous sommes capables de marcher avec la Russie, et à la cour de Vienne que nous sommes prêts à sacrifier nos relations avec elle à l’entente cordiale avec l’Occident. » Tels étaient les conseils que l’apprenti déjà passé maître donnait discrètement à ses patrons. Sans manquer à la déférence qu’il leur devait, il essayait de faire leur éducation, de leur apprendre cette politique de marchandage et de surenchère qu’il a pratiquée depuis avec tant de bonheur. Mais un aigle perd son temps à vouloir enseigner aux moineaux l’art de voler et de regarder le soleil en> face ; peut-il leur prêter ses ailes et ses yeux ?

Peu s’en fallut que la Prusse, grâce à ses perpétuelles tergiversations, ne fût, en 1856, exclue du congrès de Paris. L’humiliation dont ils étaient menacés causait à Frédéric-Guillaume IV et à son ministre les plus cuisans soucis, ils s’épouvantaient de leur isolement. M. de Bismarck s’efforçait de les calmer, de les réconcilier avec leur sort. Il leur représentait que le cas n’était pas mortel, qu’on pouvait vivre sans aller au congrès, que c’était un malheur supportable ; qu’au surplus il fallait cacher avec soin sa déconvenue et son dépit, affecter beaucoup de philosophie, beaucoup d’indifférence, se garder de mendier une invitation qui ne venait pas, qu’elle finirait bien par venir ; que certains traités signés par la Prusse ne pouvaient être modifiés sans sa participation, que moins on montrerait d’empressement, plus on serait certain d’être désiré et recherché. Avec une sagesse bien rare dans un diplomate de quarante ans, il ajoutait « qu’il faut apprendre à se sentir bien dans sa peau, même quand on n’y est pas à son aise, » qu’un message royal aux chambres, un emprunt de guerre annoncé à grand bruit, un cliquetis de sabres, ne seraient qu’un pauvre palliatif et ne guériraient pas la blessure infligée à la fierté prussienne, qu’il importe à un état encore plus qu’à un particulier d’être toujours maître de son humeur, que les colères d’enfant, des plaintes et des menaces en l’air n’ont jamais fait de mal qu’à ceux qui se les permettent. Pour achever de consoler ses patrons déconfits, il leur rappelait, que, malgré les maladresses qu’ils avaient commises, la Prusse était de toutes les puissances de l’Europe celle qui avait le moins démérité de son puissant voisin de l’Est, que tôt ou tard elle serait récompensée de sa vertu et de ses bons procédés. Il avait écrit dès le 9 décembre 1854 : « Quand la paix sera faite, nous serons dans de meilleurs rapports avec la Russie que l’Autriche, et c’est un gain auquel j’attache beaucoup de prix. Le jour du règlement des comptes ne se fera pas attendre. Que quelques années se passent, et la Russie saisira l’occasion de quelque zizanie européenne ou de troubles intérieurs en Autriche ou autre part pour recouvrer ce qu’elle a perdu. L’Autriche s’est placée sur son chemin comme une barrière