territoire, si on le trouvait nuisible, pour le diriger sur les pays où il ferait réellement pousser des moissons françaises. Sans doute, l’adoption de cette mesure entraînerait, dans une certaine limite, le rétablissement des congrégations religieuses. Mais, comme les membres de ces congrégations seraient forcés de passer à l’étranger toute leur jeunesse et qu’ils ne rentreraient en France que déjà âgés, on n’aurait pas à craindre qu’ils exerçassent en France même une action politique et sociale. Ils reviendraient plus patriotes, car c’est dans l’exil, c’est au loin qu’on s’habitue à aimer la patrie d’une tendresse plus vive et plus profonde. On ne voit pas ses fautes, ses misères, ses faiblesses ; ou, si on les voit, à force de chercher à les déguiser à ceux qui vous entourent, on finit par se les déguiser à soi-même. Ils reviendraient assagis, ayant épuisé leur ardeur de prosélytisme, peu disposés aux excès de zèle intempestifs. Ce sont toujours les jeunes religieux qui se livrent à ces excès ; car, avec l’âge et l’expérience, si la foi ne s’émousse pas, du moins la fougue de propagande s’amortit et tombe. Il n’y aurait plus en France de congrégations véritables. ; il n’y aurait que des séminaires de congrégations où l’on se préparerait pour les campagnes lointaines, et des asiles de congrégations où l’on se retirerait invalide, pour mourir en paix sur le sol de la patrie. Si l’on voulait écarter jusqu’à l’ombre d’un péril d’envahissement clérical, il suffirait d’une loi sagement faite sur les biens de mainmorte qui empêcherait les congrégations d’acquérir et de posséder des propriétés parmi nous, qui les contraindrait à dépenser toutes leurs ressources au profit des missions. L’abus des donations et des largesses faites aux moines par des personnes trop pieusement libérales tournerait ainsi au profit du développement extérieur de notre pays. Tous les chefs d’ordres imiteraient l’exemple de Mgr Lavigerie, qui s’est procuré d’immenses ressources avec lesquelles il a fait à lui seul plus que tous nos diplomates réunis pour les progrès de la France en Afrique et en Orient. On sait de quelles attaques ses services ont été payés.
Je ne saurais me dissimuler que ce que je (propose ici serait la fin de la guerre religieuse qui se poursuit chez nous depuis quelques années. Mais faudrait-il le regretter ? On peut douter qu’il fût d’une excellente politique d’inaugurer un Culturkampf français à l’heure même où s’achevait le Culturkampf allemand, où M. de Bismarck se rapprochait de Rome et faisait entrer le pape dans son jeu. Cette manière de comprendre l’opportunisme prêtait assurément à la critique. Mais, au lendemain du 16 mai, au moment où toutes les passions anticléricales étaient soulevées, où chaque député avait à se venger de son curé, on s’explique que les ministres et la chambre aient oublié l’Europe et le monde pour ne se souvenir que des luttes