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bien que sur la Méditerranée. Ce jour-là, elle serait en mesure de nous porter un coup mortel, si, appuyée d’un côté par les grandes puissances du centre de l’Europe, avec lesquelles elle cherche si souvent à nouer une alliance plus intime, elle avait d’un autre côté la puissance catholique entre les mains pour bouleverser le nord de l’Afrique et l’Orient. Heureusement, une réconciliation entre le pape et l’Italie est bien difficile. Qui sait pourtant ? Le pape est Italien ; et, si nous le poussons à bout, si nous rejetons toutes ses avances, si nous désespérons sa bonne volonté, ne perdrons-nous pas la seule force qui nous permette, non-seulement de conserver le protectorat catholique dans le monde entier, mais encore d’exercer en Italie même une action importante ? Mais ce n’est pas seulement de l’Italie que nous viennent les menaces. L’Autriche a conçu également depuis quelques années des ambitions qui heurtent souvent les nôtres. On vient de le voir en Égypte, où elle a fait des efforts d’ailleurs bien malencontreux pour établir son influence aux dépens de celle de la France et de l’Angleterre. Elle ne songe pas moins à la Syrie. Admettons qu’un accord entre l’Italie et le pape soit presque impossible ; entre le pape et l’Autriche il s’établira de lui-même si nous persistons dans la politique antireligieuse. L’Autriche est une puissance très catholique ; elle est gouvernée en ce momens par les conservateurs, qui font à l’église toutes les concessions qu’elle désire ; de plus, à mesure qu’elle s’avance en Orient, elle prend à Constantînople une autorité déjà égale à la nôtre et que notre conduite en Égypte à peut-être même rendue supérieure. Sa protection pour les chrétiens d’Orient serait aussi efficace que la protection française ; et, comme elle serait plus sincère et plus bienveillante, il est fort à craindre qu’elle ne lui soit bientôt préférée.

Je rougis de présenter d’aussi petits intérêts à des hommes politiques tout occupés à briser des crucifix dans les écoles ou sur les portes de cimetières. Il est évident que de si grandes œuvres valent bien qu’on renonce aux traditions et aux conquêtes de la France. Cependant on nous parle tant, depuis quelques mois, du développement de notre empire colonial, des progrès de notre influence extérieure, on s’enflamme si vivement pour le Congo et pour Madagascar, qu’il m’est peut-être permis de faire remarquer à nos libres penseurs que les pays dont ils convoitent la possession ne ressemblent nullement à la France, que Voltaire y est inconnu, que personne n’y a lu Littré, qu’on n’y soupçonne pas ce que c’est que le positivisme, qu’il y règne, hélas ! non-seulement toutes les erreurs de la religion, mais toutes les folies de la superstition. Pour pénétrer cette barbarie, il faut une foi quelconque qui ne soit pas la foi du néant. C’est, à coup sûr, bien dommage ; mais qu’y