graduellement les sons inarticulés de l’animal ont acquis une perfection de plus en plus grande, de manière à former enfin un langage.
Les organes de la phonation ne diffèrent qu’à peine chez l’animal et l’homme. Un larynx d’homme, un larynx de singe, un larynx de chien, sont construits tout à fait sur le même type. L’organe est le même, la fonction est différente ; et elle diffère parce que diffère l’intelligence qui met en mouvement les muscles du larynx.
Là encore nous retrouvons, au fond des raisons qu’on oppose à l’animalité de l’homme, l’argument tiré de l’extrême supériorité intellectuelle. Mais nous y avons répondu tout à l’heure, et il est inutile d’y insister encore.
Ainsi que l’intelligence, le langage est à tous les degrés. Il y a des langues rudimentaires et informes : il y a des langues admirables. A mesure qu’on s’adresse à des races humaines supérieures, on voit se perfectionner le langage comme l’intelligence. La langue d’un sauvage est grossière, n’exprimant qu’un petit nombre d’idées, et même ne pouvant pas servir aux idées abstraites. Qu’est-ce que cet enfantin vocabulaire en regard de nos belles langues indo-européennes ? Ne trouve-t-on pas là la même différence qu’entre l’intelligence d’un Newton et celle d’un Tasmanien ?
L’influence du langage sur l’intelligence n’est pas moins grande que celle de l’intelligence sur le langage. Toutes les supériorités de l’homme semblent être la conséquence de ce fait qu’il peut parler, communiquer ses idées à ses semblables, recevoir d’eux communication de leurs idées. Sans langage on ne comprendrait pas le progrès. L’expérience que nous acquérons chaque jour, nous pouvons, grâce au langage, en faire profiter les autres hommes, comme nous profitons de leur expérience. L’humanité n’est donc pas condamnée, comme les animaux guidés par l’instinct seul, à suivre constamment la même voie, à marcher, sans défaillance comme sans espoir, dans la même éternelle route. Non ! grâce au langage, nous pouvons transmettre à nos enfans les progrès que nous avons faits, former des idées générales, chercher les causes des choses, analyser les phénomènes extérieurs, réfléchir sur ce qui nous entoure, conclure, par une audacieuse généralisation, des faits que nous voyons à ceux que nous n’avons jamais vus. Toutes ces étonnantes opérations intellectuelles ne peuvent s’effectuer que par le langage. Sans le langage l’homme eût été un animal débile, moins bien armé pour la lutte que la plupart des animaux. Avec le langage il est devenu le roi des animaux.
Si donc il fallait donner une caractéristique de l’homme, ce qui parait en vérité assez peu nécessaire, nous dirions que l’homme est un animal qui parle.
En tous cas, l’homme est un animal. Car l’existence d’un langage