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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/850

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issus de chaque couple pendant un intervalle d’un siècle. Si tous les petits vivent, chaque siècle verra le nombre des éléphans décupler.

Ainsi, aux débuts du premier siècle, il y aura deux éléphans, vingt à la fin de ce siècle, deux cents à la fin du second, etc., si bien qu’au bout de dix siècles, à supposer que nulle maladie, nulle cause de destruction ou d’affaiblissement n’aient frappé ces animaux, le nombre des éléphans vivant sur la surface de la terre s’élèverait à vingt milliards.

Cette démonstration s’appliquerait avec beaucoup plus de force aux espèces très fécondes, aux animaux qui, comme le lapin, ont annuellement trois portées de six à huit petits, aux poissons qui pondent chaque année plusieurs milliers d’œufs, à presque toutes les plantes qui émettent une quantité considérable de graines.

Si tous les petits que peut produire un couple de morues venaient à se développer et à se reproduire à leur tour sans obstacle, au bout d’un siècle les mers ne seraient plus assez vastes pour contenir la totalité de ces êtres. Si tous les grains de blé que donne un épi venaient à germer et à se reproduire pendant cinquante générations, toute la surface de la terre serait couverte d’épis.

Cependant le nombre des animaux ou des plantes n’augmente pas indéfiniment. Il y a vingt siècles, la vie n’était pas moins développée qu’aujourd’hui. Le nombre des éléphans, des lapins, des poissons, des plantes qui vivent en ce moment sur la surface de la terre n’est pas supérieur à celui des éléphans, des lapins, des poissons et des plantes qui vivaient il y a vingt siècles sur cette même surface terrestre.

À vrai dire, le développement illimité d’une population animale quelconque n’est qu’une conception théorique. Bien des raisons, qu’on comprendra sans peine, s’opposent à ce que la progression indéfinie existe dans la réalité comme on suppose dans la théorie.

En effet, ainsi que Malthus l’avait indiqué bien avant Darwin, les ressources alimentaires ne peuvent croître aussi rapidement que la population. Il s’ensuit que des individus semblables, accumulés en nombre croissant dans un espace limité, — et la terre n’est qu’un espace limité, — finiraient par mourir d’inanition.

Admettons, par exemple, l’existence d’un couple d’éléphans dans l’île de Ceylan. Cette magnifique contrée, presque aussi vaste que la Grande-Bretagne, est d’une étonnante fertilité. Mais, si fertile qu’elle soit, les plantes qu’elle produit ne pourraient nourrir, je suppose, plus de vingt mille éléphans. Par conséquent, quatre siècles après l’arrivée du premier couple, le nombre maximum des éléphans qui peuvent vivre dans l’île de Ceylan sera atteint. Jamais il ne pourra être dépassé ; car les ressources alimentaires de l’île ne sauraient