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que cette dernière, ou plutôt cette troisième évaluation, calculée d’après le coût des travaux déjà entrepris, ne soit pas dépassée lors du règlement des comptes ! Partout les frais d’expropriation des terrains, le prix des matériaux et le taux des salaires ont augmenté dans des proportions très sensibles, et l’on sait que bon nombre de lignes du troisième réseau sont tracées dans des régions montagneuses où la construction d’une voie ferrée entraine des dépenses exceptionnelles. En tout cas, il est certain que M. de Freycinet a commis une erreur dans la rédaction de son devis, soit qu’il ait cru pouvoir réaliser des économies sur les projets soumis au conseil-général des ponts et chaussées, soit qu’il ait jugé prudent de laisser provisoirement dans l’ombre une portion de la dépense, afin d’assurer l’adoption de son programme.

La première conséquence de cette augmentation de dépenses fut de déconcerter absolument les ministres des finances qui étaient chargés de procurer les crédits nécessaires pour l’exécution ; 4 milliards 1/2, 5 milliards même, pour arrondir le chiffre, on y pourvoira sans trop d’efforts, avec le temps et sous certaines conditions ; mais après les 8 milliards, il faut crier : Hélas ! et après les 9 milliards : Holà ! Ce n’est pas seulement M. Léon Say qui jette le cri d’alarme. M. Tirard n’est pas plus rassuré devant l’addition revue, corrigée et augmentée que lui présente son collègue le ministre des travaux publics ; le rapporteur de la commission du budget, M. Ribot, ne ménage point les avertissemens ; dans la presse comme à la tribune des deux chambres, les conseils répétés de prudence viennent tempérer l’admiration bruyante qui avait salué au début l’œuvre de M. de Freycinet. On déclare que l’entreprise sera menée jusqu’au bout ; on proclame l’exécution intégrale du troisième réseau et des autres travaux compris dans le plan de 1878 ou ajoutés à ce plan par des décisions successives ; on affirme, en plagiant le regretté M. Devinck, d’impérialiste mémoire, que les ressources de la France sont inépuisables. Il est facile néanmoins de démêler, à travers ces professions de confiance et d’optimisme, un commencement de déception et un certain remords de conscience dans le langage des ministres présens et futurs qui se voient chargés ou menacés de la responsabilité financière. Chacun avoue que le plan, à peine éclos, a subi de profondes altérations, que le train, dès qu’il a été mis en marche, a déraillé.

En 1878, M. de Freycinet ne supposait pas que nos budgets allaient être écrasés par les dépenses excessives qui ont été votées depuis trois ans pour les écoles, pour les lycées, pour les chemins vicinaux ; il calculait qu’une dépense annuelle de 400 millions durant eux exercices pourrait être supportée d’autant plus