Les Athéniens pouvaient souvent se donner « la satisfaction de l’ostracisme, » puisqu’il y avait à Athènes beaucoup de grands hommes. D’autre part, dans cette démocratie active et jalouse qui ne déléguait aux magistrats que les pouvoirs les plus restreints et les plus précaires et où le peuple assemblé décidait par lui-même quantité d’affaires qui sont du ressort de l’exécutif, il était impossible que des dissentimens ne se produisissent pas en mainte circonstance. Que tout le monde eût été du même avis, et le Pnyx n’eût pas entendu ces belles luttes oratoires si chères aux Athéniens. A l’assemblée, les uns, les démocrates, réclamaient sans cesse de nouvelles réformes et de nouveaux avantages ; les autres, que les Grecs, qui n’employaient pas comme nous mille nuances pour désigner les partis, appelaient les oligarques ou les aristocrates, et qu’il serait plus vrai d’appeler les conservateurs, ne songeaient pas, du moins à dater de l’époque d’Aristide, à restreindre les droits de la plèbe ; mais ils s’opposaient à ce qu’elle en obtînt de nouveaux. D’autres questions divisaient les citoyens. Ceux-ci voyaient les intérêts d’Athènes et de toute la Grèce dans une alliance sérieuse avec Sparte ; ils rêvaient de rendre la Grèce tranquille et invincible en maintenant l’équilibre entre ces deux grandes cités. Ceux-là voulaient l’abaissement de Sparte et la suprématie d’Athènes, fût-ce même au prix de guerres fratricides et éternelles. Tel général, comme Thémistocle ou Cimon, tel homme d’état comme Aristide ou Thucydide, était conservateur ou démocrate, tenait pour la paix ou pour la guerre. La tribune lui était ouverte, il y exposait son opinion. Les idées qu’il exprimait lui gagnaient tous ceux qui pensaient comme lui sans avoir son éloquence ; s’il joignait au talent oratoire le prestige d’un grand nom, de services signalés ou l’avantage d’une grosse fortune, il devenait chef de parti et se trouvait nécessairement en opposition avec un autre chef de parti. De là prétexte à ostraciser, — pourquoi ne pas faire entrer le mot dans la langue puisque l’acte qu’il désigne menace d’entrer dans la loi ?
On procédait ainsi à l’ostracisme : d’abord la proposition de cette espèce de plébiscite, proposition que tout citoyen avait le droit d’émettre, était soumise au conseil des cinq cents (sénat proboulétique, délibérant d’avance), qui préparait les travaux de l’assemblée. Le sénat n’opposait généralement son veto qu’aux projets inconstitutionnels ; il semble donc que le plus souvent il s’en remettait à l’assemblée pour juger de l’opportunité d’un vote d’ostracisme et portait la proposition à l’ordre du jour de la prochaine séance, comme on dirait aujourd’hui. Au Pnyx, le requérant ou l’un de ses partisans montait sur le rocher qui servait de tribune et exposait les motifs qui l’avaient inspiré : soit la trop grande puissance d’un homme