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n’en trouverez pas qui vieillisse plus vite que ce que l’on appelle de deux mots qui, au fond, n’en sont qu’un, le jargon des hautes classes et l’argot des basses. Même quand il prétend copier, l’art transpose ; — ou plutôt, il n’y a d’art qu’à condition de cette transposition, et l’art ne commence qu’avec elle.

Si l’on passe à M. Daudet ces imperfections légères, beaucoup plus rares dans l’Évangéliste que dans Numa Roumestan ou les Rois en exil, le style est ici d’une netteté ou d’une simplicité qu’à notre connaissance il n’avait pas souvent atteintes. Je ne rencontre plus, ou je rencontre pou de ces phrases interminables, qui ne paraissaient pas plus tôt sur le point de finir qu’elles recommençaient, surchargées d’intentions de toute sorte, « travaillées au couteau, » pour détourner une expression de M. Daudet lui-même, et dont le moindre inconvénient n’était pas de donner à certains lecteurs l’illusion, l’illusion seulement, je le veux bien et je l’ai dit, mais l’illusion enfin de l’incorrection. C’est plus simple et c’est plus sain. Pour exprimer ce qu’il y a d’extrêmement complexe dans cette vie que vit l’homme de notre temps, et particulièrement, à quelque degré de la hiérarchie sociale qu’il se trouve placé, l’habitant des grandes villes, M. Daudet n’a rien perdu de son rare talent, mais il a mieux compris ce que vaut la simplicité de la forme, et que le triomphe de l’art serait de réduire à quelques grandes lignes la complexité même et la diversité de ce qu’il imite. Car il ne faut pas s’imaginer que l’on arrive naturellement à un style naturel, Mais, au contraire, et selon la vieille leçon dont on méconnaît si souvent la justesse, il n’est rien que l’écrivain le mieux doué atteigne si tard ni si laborieusement que le parfait naturel. M. Daudet y a touché dans les meilleures pages de son Évangéliste.

Et comme tout se tient, en même temps que le style s’est clarifié, pour ainsi dire, de ce qu’il contenait encore en suspension d’élémens de trouble et d’impureté, en même temps. aussi la composition s’est dégagée plus précise. Ce qui rompait et brisait la continuité de l’action, dans les derniers romans de M. Daudet, ce n’était pas précisément, comme on l’a dit quelquefois, le manque de plan, c’était plutôt la multiplicité des épisodes et, par une inévitable conséquence, la dispersion de l’intérêt. Comme dans une architecture trop ornée, le détail y nuisait à l’ensemble. Trop de festons et trop d’astragales ! On était trop souvent distrait par ce grand nombre de descriptions, dont chacune, ayant son intérêt, sa valeur, son mérite propre, voulait être lue comme l’artiste l’avait traitée lui-même, c’est-à-dire : amoureusement. Non ! l’unité ne faisait pas défaut. Dans le Nabab comme dans les Rois en exil, il y avait bien un commencement, un milieu et une fin. Mais, dans l’un et dans l’autre roman, entre ce commencement et ce milieu, comme entre ce milieu et cette fin, il s’interposait trop de