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péenne de la navigation du Danube, et à laquelle notre ambassadeur, malade comme le gouvernement qu’il représente, a failli ne pas pouvoir assister ? Il ne paraît pas avoir été bien facile d’arriver à cette réunion, tant il y a d’intérêts contraires, de rivalités et de susceptibilités de toute sorte à concilier dans une telle affaire. La Turquie, avec sa diplomatie lente et méticuleuse, a fait attendre assez longtemps une adhésion qui n’a été envoyée que depuis peu et non sans être accompagnée de quelques réserves. Jusqu’à la dernière heure, les puissances les plus intéressées, la Russie, l’Autriche, l’Allemagne, paraissent avoir poursuivi des négociations toutes confidentielles pour arriver à une entente particulière, et même à l’ouverture de la conférence, l’ambassadeur d’Allemagne s’est trouvé atteint d’une indisposition aussi subite qu’opportune, uniquement motivée, dit-on, par la nécessité d’attendre un supplément d’instructions. Autre difficulté : à quel titre, dans quelle mesure les principautés riveraines du Danube, la Serbie, la Roumanie, même la Bulgarie, seraient-elles admises à la délibération européenne ? Quels seraient enfin les points précis soumis à la décision collective des grandes puissances ? On a fini à travers tout par se mettre plus ou moins d’accord de façon à pouvoir se réunir, — sans contenter, il est vrai, tout le monde.

Ce n’est plus sans doute le principe même de la liberté de navigation danubienne qui est à conquérir ou à sanctionner aujourd’hui ; cette question a été souverainement tranchée autrefois par le congrès de Paris, par le traité de 1856. Les puissances, pour mieux assurer cette liberté qu’elles inscrivaient dans un acte diplomatique solennel, avaient même pris soin d’attribuer à la Moldavie une portion du territoire de la Bessarabie qui, jusque-là, donnait à la Russie les moyens d’exercer une domination presque exclusive sur les bouches du Danube. De plus, une commission européenne se trouvait chargée de présider aux travaux et aux règlemens destinés à faire de cette liberté de navigation une réalité féconde pour le commerce. Au demeurant, la question était dès lors et est restée résolue par le traité de 1856 ; mais, depuis cette époque, bien des événemens se sont produits ; la face des choses a changé en Orient. La Russie, par la dernière guerre de 1877-1878, a reconquis ce qu’elle avait perdu en Bessarabie et est redevenue riveraine du Danube, maîtresse souveraine d’une des bouches du fleuve. La Moldo-Valachie est devenue le royaume de Roumanie agrandi d’une province ottomane. La Serbie, elle aussi, s’est transformée en royaume. La Bulgarie elle-même, à demi détachée de la Turquie, est devenue une principauté autonome, quoique encore vassale du sultan. D’un autre côté, l’Autriche, éliminée par degrés de l’Allemagne, s’est tournée vers l’Orient, allant en Bosnie, en Herzégovine avec l’appui de M. de Bismarck, et par la logique même de sa politique orientale, elle tient, elle doit tenir plus qu’autrefois encore à garder une certaine hégémonie dans les régions danubiennes. Tout cela, c’est