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l’été, la vaine pâture ne demeura plus confinée sur les sommets qui n’étaient pas aptes à autre chose. Elle envahit de tous côtés des terrains jusqu’alors bien cultivés, qui donnaient de riches récoltes de vin, d’huile et de grains. Les dégâts des moutons et des chèvres ruinèrent les forêts, avec les incendies résultant de l’incurie des pâtres ou même allumés intentionnellement par eux, amenant le déboisement et la dénudation des pentes et livrant le fond des vallées aux ravages capricieux des torrens, qui les rendent inhabitables. Le mal ainsi produit sera peut-être à jamais irréparable.

Ajoutons que ce développement sans mesure de la vie pastorale ramenait les provinces sur lesquelles il s’étendait à un état social touchant à la barbarie primitive. Car il y donna naissance à toute une nombreuse population de pâtres farouches, menant une existence à demi sauvage, déshabitués du travail régulier, sans racines dans le sol, adonnés à la vie nomade et faits dès l’enfance à se soustraire au joug des lois, qui n’atteignent sérieusement que les sédentaires. C’est dans cette population que se recruta principalement le brigandage, qui devint le fléau permanent des Abruzzes et de la Capitanate.

Organisé, comme nous venons de le dire, par l’avidité fiscale d’Alphonse et aggravé encore par ses successeurs, le désastreux système du pâturage forcé du Tavoliere s’est maintenu pendant plus de quatre cents ans. Ce n’est pas qu’il ne soulevât bien des plaintes. Tous les esprits éclairés du XVIIIe siècle, et ils furent nombreux dans l’état napolitain, signalèrent ce régime comme une honte pour un pays civilisé, un obstacle à tout progrès dans une des parties les plus fécondes du royaume, une monstruosité par rapport aux principes économiques les plus vulgaires, et en réclamèrent hautement l’abrogation. Le gouvernement royal ne les écouta pas. La république parthénopéenne voulait procéder à l’affranchissement des terres de la Capitanate, mais la trop courte durée de son existence ne lui permit pas de réaliser cette partie du noble programme de Mario Pagano et de ses collègues. C’est au gouvernement de l’occupation française sous le premier empire qu’était réservé l’honneur de le tenter pour la première fois, et ce n’est pas un des moindres titres d’éloges de ce gouvernement imposé par la force des armes, qui, en huit années, sous Joseph Bonaparte, puis sous Murat, racheta par tant de grandes œuvres, tant de progrès accomplis et de bienfaits, la tache de son origine étrangère. Une loi du 21 mai 1866 abolit le régime de la pâture obligatoire et rendit aux propriétaires du Tavoliere le droit de disposer librement de leurs terres en les cultivant et en les vendant ou les affermant comme ils voudraient. Là fut en partie la cause de l’ardeur avec laquelle les pâtres de