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marchands d’antiquités. de plus, le commissaire grec qui a fouillé à Tanagre, au nom de la Société archéologique, n’a publié aucun compte-rendu sérieux de son travail, et le secret des tombes tanagréennes, les détails de leur installation intérieure, sont probablement perdus à jamais.

Nous avons insisté sur la dévastation de Tanagre parce que les statuettes qui proviennent de cette nécropole ont acquis une notoriété telle que les personnes les plus étrangères à l’archéologie en ont vu et admiré quelques-unes. Mais ce que nous avons dit à ce sujet est aussi vrai des autres nécropoles de la Grèce, celles de la Locride opontienne, de Tégée, de Corinthe surtout. Le gouvernement ne peut ignorer qu’elles sont exploitées journellement, puisque les boutiques des marchands d’Athènes regorgent d’antiquités qui en proviennent : il n’a rien fait pour arrêter ces ravages. Ce qui se perd ainsi chaque année, on se le figure aisément : vandalisme et fouilles clandestines sont termes synonymes. On demandera pourquoi les archéologues, qui sont si nombreux en Grèce, ne vont pas au moins observer ces fouilles pour prendre note des trouvailles qu’on y fait. La raison qui les en empêche est bien simple : les fouilleurs eux-mêmes n’auraient rien de plus pressé que de les dénoncer à l’autorité comme essayant de transgresser la loi, et ils recommenceraient leur campagne après avoir éloigné les importuns. Un fouilleur de profession redoute un étranger plus qu’un gendarme. Le gendarme est son compatriote, son philos, boit un verre de raki avec lui, sait fermer les yeux quand il le faut. L’étranger est incorruptible ; il a beau protester de sa discrétion, on ne le croit pas ; il a des amis en Europe, il est peut-être journaliste lui-même, c’est un intrus qu’il faut écarter à tout prix. M. Rayet, qui s’est occupé spécialement des nécropoles, a déclaré que, pendant quatre ans de séjour en Grèce, il a vainement essayé d’assister à l’ouverture d’un tombeau[1]. Bien d’autres ont été éconduits comme lui, et, par une contradiction étrange, un profond mystère continue à envelopper les fouilles qui se poursuivent simultanément et à toute heure dans les différens pays de la Grèce.

Les marchands de Corinthe ne gardent pas les objets qu’ils acquièrent : ils les expédient immédiatement en Europe. De mémoire de douanier grec, on n’a jamais confisqué un de leurs envois; ils sont d’ailleurs passés maîtres en finesse et docteurs en contrebande. Les marchands d’Athènes prennent quelques précautions. Soit pour épister la Société archéologique, soit pour se réserver le monopole d’un terrain fécond, ils n’indiquent presque jamais la provenance vraie des objets qu’ils vendent. Un bronze trouvé en Béotie sera

  1. Gazette des beaux-arts, 1875, t. II, p. 552.